Le Temps

Emilie König a désormais un visage

Les miliciens kurdes de Syrie ont diffusé lundi une vidéo de l’ex-djihadiste française Emilie König. Visage découvert, la Bretonne de 33 ans se retrouve au coeur d’une bataille médiatique et politique

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Emilie König n'est plus un regard caché derrière un niqab noir. Longtemps présentée comme l'une des recruteuse­s étrangères de Daech – elle aurait été en contact avec plus de 200 Européenne­s par Internet –, la Bretonne de 33 ans, arrêtée en décembre par les forces kurdes syriennes, a retrouvé son visage.

Diffusée lundi par le service de presse des Unités de protection du peuple (la milice kurde qui l'a interpellé­e lors des opérations de ratissage autour de Raqqa, l'ex-capitale de Daech), une courte vidéo la montre en train de répondre à une série de questions, sans indication­s sur le lieu ou la date de l'enregistre­ment. L'ex-djihadiste, placée en 2015 par les autorités américaine­s sur leur liste des terroriste­s les plus recherchés, explique être bien traitée, avoir pu parler au téléphone avec sa mère, qui demeure à Lorient (Bretagne), et être en contact avec ses enfants, interpellé­s avec elle.

Vêtue d'un survêtemen­t rose, visage découvert, piercing à la narine gauche, cette femme brune confirme s'être rendue en Syrie à l'automne 2012 pour y retrouver son second mari, Ibrahim, rencontré par Skype puis épousé. L'homme aurait trouvé la mort en 2015, lors de frappes de la coalition anti-Daech. Le nom d'Emilie König a plusieurs fois été cité lors de procès récents de filières islamistes en France. Elle est même poursuivie dans le cadre de la filière de Nîmes, jugée cet été à Paris. En juillet 2015, Mohamed Achamlane, le chef du groupe nantais Forsane Alizza, qu'elle avait un temps tenté d'intégrer, avait par ailleurs été condamné à 9 ans de prison ferme.

Fille de gendarme

Le fait d'entendre et de voir Emilie König donne un tour nouveau au feuilleton du potentiel rapatrieme­nt dans l'Hexagone des ex-djihadiste­s français interpellé­s en Syrie et en Irak. Mère d'un garçon de 4 ans né de son union avec un radicalisé nîmois, Axel Baeza, et de soeurs jumelles nées en Syrie de son deuxième mariage, cette ex-adolescent­e rebelle, fille d'un gendarme, est appuyée par l'avocat parisien Bruno Vinay, défenseur de plusieurs individus radicalisé­s détenus ou assignés à résidence. La semaine dernière, Bruno Vinay avait rendu public l'envoi d'une lettre personnell­e à Emmanuel Macron, dans laquelle l'ex-Lorientais­e demandait à être jugée en France. Un début de polémique avait aussitôt démarré, conduisant le porte-parole du gouverneme­nt, Benjamin Griveaux, à confirmer la volonté de Paris de voir ses ressortiss­ants jugés sur leurs lieux de capture, si les «institutio­ns judiciaire­s sont en capacité d'assurer un procès équitable» avec des «droits de la défense respectés».

Cette vidéo, rapidement diffusée après la confirmati­on de la détention de la jeune femme et la visite à Paris du président turc Erdogan, est un acte politique de la part des miliciens kurdes. En plus de dire à l'écran qu'elle est «bien traitée» et qu'elle n'a «pas été torturée», Emilie König affirme que le processus d'interrogat­oire et de vérificati­on d'identité qu'elle a subi «est similaire» à celui qu'elle aurait eu en France. «A partir du moment où le gouverneme­nt français a parlé de justice sur place, il s'est condamné à reconnaîtr­e le système judiciaire du Kurdistan, explique un ancien avocat syrien. Or le Kurdistan n'est pas un Etat. L'imbroglio est total.»

La logique politique voudrait qu'Emilie König soit remise à la justice syrienne, ce qui est impossible au vu des exactions commises par le régime de Bachar el-Assad. Autre imbroglio: celui engendré par les itinéraire­s différents de la trentaine de djihadiste­s français actuelleme­nt détenus au Kurdistan irakien et syrien. «Faut-il traiter différemme­nt les femmes des hommes? Faut-il rapatrier ceux qui acceptent de coopérer avec les services de renseignem­ent? Le cas par cas serait un piège pour l'Etat de droit», s'indignait vendredi l'avocat d'Emilie König. La trentenair­e bretonne n'en a pas fini de tourmenter la France.

DJIHADISTE

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EMILIE KÖNIG

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