Theresa May, la «morte-vivante»
La première ministre britannique a peiné à remanier son gouvernement. Très affaiblie, elle est paradoxalement protégée par le Brexit
Elle est encore là. Affaiblie, critiquée de toutes parts, sans majorité absolue, surnommée «morte-vivante» par ses détracteurs, Theresa May poursuit malgré tout son chemin en équilibre sur un fil. Lundi, la première ministre britannique s’est même lancée dans un remaniement ministériel, pour tenter d’asseoir ce qui lui reste d’autorité.
Signe de sa faiblesse politique, rien ne s’est passé comme prévu. Theresa May voulait changer son ministre de la Santé, Jeremy Hunt, alors que les listes d’attente des hôpitaux britanniques débordent de partout. Après un long entretien, l’homme a tenu tête et la cheffe du gouvernement a renoncé. Par ricochet, elle a choisi de conserver son ministre du Commerce, Greg Clarke, que la presse britannique donnait partant.
Son remaniement ministériel est donc essentiellement cosmétique. Ses principaux ministres – Défense, Economie, Intérieur… – restent en place. Les plus fervents soutiens du Brexit conservent aussi leur siège: Boris Johnson demeure ministre des Affaires étrangères, et David Davis reste chargé des négociations pour sortir de l’Union européenne. Mais, à la marge, Theresa May est parvenue à insuffler un peu d’air frais, changeant notamment le président du Parti conservateur et quelques membres secondaires de son gouvernement.
Face à des ministres qui lui tiennent tête ouvertement, et avec des députés qui se moquent d’elle derrière son dos, la surprise est que la première ministre britannique soit toujours en place. Depuis son pari manqué en juin dernier, l’organisation d’élections anticipées qui l’ont vue perdre sa majorité absolue à la Chambre des communes, elle est sur un siège éjectable. Et pourtant, elle résiste.
La gauche en embuscade
«Personne au sein du Parti conservateur ne veut provoquer de nouvelles élections anticipées», reconnaît un influent député conservateur. Il donne deux explications clés, qui pourraient maintenir Theresa May en place pendant encore de nombreuses années.
La première est politique: Jeremy Corbyn, le leader très à gauche du Parti travailliste, est en embuscade et a de vraies chances de remporter la prochaine élection. «Aucun d’entre nous ne se pardonnerait de faire élire un gauchiste», continue le même député.
La seconde explication concerne le Brexit. Même si un accord a été trouvé sur la première phase des négociations,
«Les ministres n’arrivent pas à travailler entre eux, rien n’est organisé»
UN LOBBYISTE PROCHE DU GOUVERNEMENT
le processus avance très lentement. L’année 2018 va être entièrement dominée par ce dossier. Aucun successeur potentiel de Theresa May ne souhaite s’en emparer et prendre les coups à sa place. La première ministre sert pour l’instant de punching-ball. Ou de serpillière, essuyant les dégâts.
Dans cette situation, le statu quo est paradoxalement le plus probable. Son sort est dans les mains des députés conservateurs. Il suffit de 48 d’entre eux (sur 316) pour provoquer une élection à la tête du parti. Mais les intéressés préfèrent attendre, espérant que la situation politique s’améliore.
En particulier, les partisans du Brexit estiment que Theresa May est sans doute leur meilleure chance de mener à terme la sortie de l’Union européenne. Si la première ministre britannique n’est pas assez radicale à leur goût, elle semble déterminée à aller jusqu’au bout. Provoquer un changement de dernière minute, en plein milieu des négociations, risquerait de tout remettre en cause.
Un fragile équilibre
Ce fragile équilibre peut en permanence être remis en cause. «En interne, c’est la pagaille complète, soupire un lobbyiste qui fréquente de près le gouvernement. Les ministres n’arrivent pas à travailler entre eux, rien n’est organisé, les messages se perdent dans les méandres administratifs.» Un autre lobbyiste, qui a longtemps travaillé au parlement, parie sur des élections au deuxième semestre: «On commencera alors à y voir plus clair sur l’accord du Brexit, et cela déplaira forcément soit aux partisans de la sortie de l’UE, soit aux opposants. L’un des deux camps provoquera sa chute.»
Mais ce scénario n’est pas considéré comme le plus probable. La plupart des observateurs parient sur une première ministre qui restera à son poste jusqu’à l’entrée en vigueur du Brexit, en mars 2019, voire à la fin de la période de transition, probablement en décembre 2020. Ensuite, elle sera débarquée par les députés conservateurs, qui n’auront plus qu’à la tordre, comme une serpillière.
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