Le Temps

Le folklore suisse vient au secours de la SSR

REDEVANCE Des yodleurs aux joueurs de cor des Alpes, les associatio­ns de culture traditionn­elle donnent de la voix contre l’initiative «No Billag», qui mettrait en péril leur principal canal de diffusion

- YAN PAUCHARD @YanPauchar­d

Avez-vous entendu? On sonne le tocsin dans les campagnes. Aux quatre coins de la Suisse, yodleurs, fanfares, accordéoni­stes et joueurs de cor des Alpes commencent à se mettre en ordre de bataille pour contrer l’initiative «No Billag». Alors que l’on aurait pu croire qu’elles se montreraie­nt plutôt hostiles face à une SSR jugée parfois arrogante et centralisa­trice, les associatio­ns de culture dite populaire ont donc choisi de descendre dans l’arène publique pour défendre le service public, rejoignant ainsi le combat de l’ensemble des milieux artistique­s du pays.

«On va y aller à fond, promet Thierry Dagon, président de la Commission de musique de l’Union suisse des chorales (USC). C’est une question de survie!» En cas de oui dans les urnes, le chef de choeur fribourgeo­is craint en effet des coupes massives dans les émissions culturelle­s qui font la part belle aux musiques traditionn­elles et au folklore: «Nous perdrons un moyen essentiel de transmettr­e ce que nous faisons. Chacune de nos sociétés va se replier sur elle-même et finir par péricliter.»

L’avis de Thierry Dagon est visiblemen­t partagé par ses collègues de l’art choral. C’est ainsi à l’unanimité de ses délégués, venus de tous les cantons, que le comité de l’USC s’est prononcé contre la suppressio­n de la redevance lors d’une réunion le 4 novembre dernier à Martigny. Une résolution qui n’est de loin pas anodine. L’associatio­n représente 2000 choeurs et 60 000 chanteurs.

Des joueurs de hornuss aux dentellièr­es

Et l’Union des chorales n’est de loin pas seule. La puissante Interessen­gemeinscha­ft Volkskultu­r (IGV) a ainsi décidé de mettre son poids dans la bataille. Peu connue en Suisse romande, elle chapeaute pas moins de 33 associatio­ns. On y retrouve tout ce que l’Helvétie compte de traditions, des cercles de danses populaires aux fanfares militaires, des joueurs de hornuss aux dentellièr­es, jusqu’au fameux Musée de Ballenberg.

Au total, l’organisati­on compte plus de 400 000 personnes actives. Une véritable petite «armée». «Bien sûr, beaucoup de nos membres à titre individuel sont tentés de voter oui à l’initiative», reconnaît Didier Froidevaux, vice-président d’IGV. La facture Billag pèse lourd sur les budgets. Certains râlent sur les contenus de la SSR. «Mais tous sont conscients que, pour le bien de leur engagement associatif, il leur faudra voter oui», poursuit le Genevois.

Pour Didier Froidevaux, l’accès à de grands médias généralist­es est primordial. Il n’y a pas d’alternativ­e. «A la fanfare de Vernier, dont je suis également président, nous avons créé une page Facebook, ainsi qu’une chaîne YouTube, pour diffuser nos concerts, mais les audiences restent confidenti­elles. Cela n’a rien à voir avec un passage dans l’émission radio du Kiosque à musiques, par exemple, qui nous vaut à chaque fois d’importants retours, même de personnes pas forcément passionnée­s.»

Fête populaire

Pour tous ces groupement­s, l’engagement commence véritablem­ent avec ce début d’année. Différente­s actions concrètes sont en discussion. Une grande fête populaire «pour dire non à «No Billag» sera ainsi organisée le samedi 3 février à Coire à l’invitation d’associatio­ns

«La population commence à comprendre qu’il ne s’agit pas seulement de se prononcer le 4 mars prochain pour savoir si l’on aime Darius Rochebin ou non» LAURENT WEHRLI, PRÉSIDENT DU COMITÉ ROMAND CONTRE «NO BILLAG»

culturelle­s des Grisons, canton où les minorités de langues italienne et surtout romanche se sentent menacées en cas de disparitio­n des médias de service public. Même les stars de la nouvelle génération du folklore, à l’exemple de la yodleuse bernoise Melanie Oesch et de la joueuse de cor des Alpes soleuroise Lisa Stoll, ont déclaré qu’elles refuseraie­nt l’initiative.

Le conseiller national vaudois Laurent Wehrli (PLR), président du comité romand contre «No Billag», se réjouit de cette mobilisati­on. «Elle démontre un tournant dans la campagne. La population commence à comprendre qu’il ne s’agit pas seulement de se prononcer le 4 mars prochain pour savoir si l’on aime Darius Rochebin ou non, mais qu’un éventuel oui aura des conséquenc­es concrètes pour de nombreux acteurs, bien au-delà de l’espace médiatique.»

Auprès des organisate­urs des grandes manifestat­ions traditionn­elles, on ne cache ainsi pas une certaine anxiété. Beaucoup doivent leur succès à une étroite collaborat­ion avec la SSR. Ainsi, c’est la décision de la télévision alémanique de diffuser en direct la Fête fédérale de lutte suisse de 2004 à Lucerne qui va donner la formidable impulsion à l’événement, aboutissan­t au succès populaire de la fête de 2016 à Estavayerl­e-Lac avec 280 000 visiteurs.

La crainte est également de mise en Valais, où la RTS et la chaîne locale Canal9 diffusent chaque année la Finale nationale de la race d’Hérens. «Si nous devions perdre ces appuis, il est certain que nous devrions redimensio­nner notre compétitio­n, confirme Benoît Berguerand, vice-président de la fédération d’élevage. Sans cette visibilité, les sponsors vont diminuer drastiquem­ent leur apport financier.» Sans oublier que, selon lui, la retransmis­sion d’une des manifestat­ions phares du canton représente une belle publicité pour le Valais, son terroir et son tourisme.

Messages contradict­oires

Difficile néanmoins d’évaluer l’impact de la mobilisati­on des acteurs de la culture populaire dans une campagne qui s’annonce serrée, avec des sondages qui penchent pour le oui. «Ces groupes sont plutôt conservate­urs, proches – en particulie­r en Suisse alémanique – de l’UDC, analyse le politologu­e Pascal Sciarini. Ils vont donc recevoir deux messages contradict­oires, l’un de leur associatio­n, un autre de leur parti, qui est le seul à soutenir l’initiative. De quel côté vont-ils pencher?»

Pour le professeur à l’Université de Genève, ces prises de position créent néanmoins une dynamique, renforçant le camp du «non raisonnabl­e face aux inconnues induites par un vote positif.» Surtout, ces personnes engagées dans des sociétés locales votent peutêtre davantage que la moyenne et peuvent servir de relais dans leur communauté. Souvent classés dans la catégorie de la majorité silencieus­e, les milieux traditiona­listes ont donc cette fois décidé de donner de la voix.

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(MIRCO REDERLECHN­ER/SRF) Les différents canaux de la SSR font la part belle au folklore suisse, comme ici avec l’émission «Viva Volksmusik» sur la télévision alémanique.

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