Quand l’UE déçoit même les europhiles
VOIE BILATÉRALE L’ambassadeur européen Michael Matthiessen tente d’expliquer la position très dure de l’UE envers la Suisse, sans convaincre un public pourtant acquis à la voie bilatérale
Ce samedi au Châble (VS), lors des Entretiens de Verbier, l'ambassadeur de l'Union européenne à Berne, Michael Matthiessen, a surpris beaucoup de monde en dressant le bilan des relations entre la Suisse et l'UE. «Après trois années difficiles, 2017 a été une année très positive. Il n'y a pas de crise entre les deux parties, juste quelques malentendus.» Un bel euphémisme! Le 5 décembre dernier, l'UE a placé la Suisse sur une liste dite «grise» des paradis fiscaux, alors qu'elle avait assuré oralement quinze jours plus tôt qu'elle ne le ferait pas. Le 20 décembre, elle ne lui a accordé le statut d'équivalence boursière que pour un an, alors qu'elle l'a octroyé sans restriction à d'autres Etats tiers comme les Etats-Unis, l'Australie et Hongkong. En Suisse, le Conseil fédéral est outré, parlant de «manoeuvre discriminante». Il n'est pas le seul. Le Blick parle de «torture», et même la NZZ se croit dans un «mauvais film».
Ce nouveau coup de froid dans la relation a même poussé le directeur des Affaires européennes, Henri Gétaz, d'habitude très modéré, à parler d'«impasse bilatérale» ce samedi au Châble, une expression qu'il n'avait jamais employée jusqu'ici. Dès lors, on attendait avec intérêt la première apparition publique de Michael Matthiessen. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce dernier a éludé toutes les questions – suisses – qui fâchent.
Pour le diplomate danois, il n'y a pas eu de scène de ménage en décembre dernier, et encore moins de vaisselle cassée. Après les deux réunions «positives» au sommet entre le président de la Commission européenne, JeanClaude Juncker, et la présidente de la Confédération, Doris Leuthard, le 6 avril et le 23 novembre, la Suisse et l'UE traversent une phase «dynamique» de leur relation. Selon lui, il est logique que la Suisse se retrouve sur une liste grise de pays qui ont pris des engagements, elle dont le peuple a rejeté la troisième réforme – eurocompatible – de la fiscalité des entreprises. «Personnellement, je suis étonné que la Suisse soit surprise de figurer sur cette liste. Il faut la considérer comme une liste positive incitant ces pays à améliorer leurs pratiques.» A ce moment-là, l'ambassadeur européen s'est attiré l'ire d'un public pourtant largement acquis à la poursuite de la voie bilatérale.
«Une relation de nature psychiatrique»
«Les Suisses ont une relation de nature psychiatrique avec l'Europe», a confié pour sa part Frans Van Daele, ancien chef de cabinet du président du Conseil européen Herman Van Rompuy, qui suit ce rapport bilatéral depuis plusieurs décennies. Ce Belge s'est employé à briser trois mythes solidement ancrés dans les consciences helvétiques. «D'abord, les Suisses sont persuadés que Bruxelles veut absolument les dominer, ce qui n'est pas le cas. Ils pensent ensuite que si l'UE y gagne dans un accord, eux y perdent. C'est encore faux. Enfin, ils veulent absolument rester souverains, ne comprenant pas que pour un Etat qui devient membre de l'UE, la souveraineté formelle se transforme en influence réelle.»
Une analyse souvent non dénuée de fondement, mais en l'occurrence démentie par des faits objectifs ces dernières semaines. Le 23 novembre dernier, Jean-Claude Juncker, dans l'entretien qu'il a eu avec les trois conseillers fédéraux Doris Leuthard, Ignazio Cassis et Alain Berset, n'a jamais articulé d'échéance pour faire aboutir l'accord institutionnel que réclame l'UE à la Suisse depuis dix ans. C'est lui qui a mis très mal à l'aise la présidente de la Confédération lorsque, en conférence de presse, il a soudain souhaité conclure au printemps 2018. En oubliant sciemment que le Conseil fédéral doit d'abord gagner une votation cruciale sur l'initiative de l'UDC pour la primauté du droit suisse.
Une consultation recommencée
Autre fait nouveau, confirmé par plusieurs sources: l'UE a procédé à deux consultations de ses Etats membres sur le statut d'équivalence des bourses suisses. Avant le 23 novembre, elle leur a proposé ce statut sans restriction pour la Suisse. Avant de se raviser pour commencer une nouvelle procédure avec la limitation à un an, en annonçant que ce dossier serait désormais lié aux progrès réalisés sur la question institutionnelle. «Mais ce sont les Suisses qui ont d'abord lié les dossiers», se défend Michael Matthiessen. Il parle ici du lien qu'ont proposé les banquiers suisses: le milliard de la cohésion contre l'équivalence boursière.
L'ambassadeur européen l'a souligné plusieurs fois: l'UE va mieux. Elle a retrouvé une croissance de 2% par an, a réduit son taux de chômage à 8% et créé 8 millions d'emplois. Difficile de comprendre dès lors qu'elle mette sur Berne une pression que même certains europhiles suisses jugent «contre-productive». D'un côté, l'attitude de Michael Matthiessen est rassurante. Elle signifie que l'UE tient à dédramatiser la situation. De l'autre, elle reste inquiétante, car la Suisse ne semble plus maîtriser l'agenda de la voie bilatérale. Le dossier du Brexit, sur lequel Bruxelles est en train d'imposer ses vues à la Grande-Bretagne, a redonné des couleurs à une UE de moins en moins encline aux concessions. Au Châble, le seul à l'avoir dit ouvertement est l'Européen Frans Van Daele, désormais à la retraite.
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«2017 a été une année très positive. Il n’y a pas de crise entre les deux parties, juste quelques malentendus»