Le procès des Tigres démarre par un âpre combat
JUSTICE L’audience contre les ressortissants tamouls accusés d’avoir escroqué une filiale de Credit Suisse a commencé lundi matin. Sur un rythme de sénateur, neuf des treize avocats ont demandé de renvoyer l’acte d’accusation, qu’ils estiment incomplet
Sorte de gruyère blanc et futuriste, le plafond de la salle d'audience du Tribunal pénal fédéral de Bellinzone (TPF) ressemble à l'intérieur d'un vaisseau spatial. Mais contrairement aux navettes censées se déplacer à la vitesse de la lumière, le procès a débuté à pas de tortue. Tour à tour, neuf des treize avocats de la défense ont demandé à la juge du tribunal de renvoyer l'acte d'accusation.
Deux avocats ont d'abord demandé ce renvoi au motif que le procès ne se fondait pas sur des bases honnêtes. Pour l'un des deux défenseurs, Stephanie Motz, «l'accusation se base sur des preuves inexploitables obtenues en violation du droit de participation des accusés», rendant ainsi impossible la défense de son client.
De son côté, l'avocat Marcel Bosonnet estime que le caractère politique du procès pose problème. Il s'inquiète de la participation des services secrets sri lankais à certaines auditions des accusés. Citant la prise de position du procureur Thomas Hopf considérant que les Tigres tamouls ne devaient pas être considérés comme une organisation criminelle, l'avocat exige que l'on demande au préalable au Conseil fédéral si le procès devrait avoir lieu.
Manifestation de 200 Tamouls
A quelques centaines de mètres de là, près de 200 Tamouls, venus en bus d'un peu partout en Suisse, profitent de la pause de midi pour se rassembler derrière les barrières installées par la police. Bien organisés, ils semblent partager l'avis de l'avocat. «En 2009, lors du processus de paix qui a eu lieu à Genève, les leaders des Tigres étaient invités en Suisse comme partie au conflit, pas comme criminels ou même comme terroristes!» s'exclame Charles Balachandran. Ce jeune Tessinois d'origine tamoule a été désigné comme le porte-parole de ses compatriotes. Drapé d'un étendard aux couleurs des Tigres, il affirme que tous les Tamouls ont fait des donations volontaires.
Retour au procès. Croisant les avocats de Bank-now, la filiale de Credit Suisse, devant le tribunal, nous leur posons la question du rôle de la banque. Ils nous répondent que «Bank-now ne souhaite pas commenter des questions en détail pour le moment. Mais qu'elle […] n'est pas accusée mais une partie plaignante du procès.»
Alors que l'audience reprend, c'est au tour de Me Olivier Peter. Selon lui, son prévenu, le chef présumé des Tigres tamouls, Kulasekararajasinham Chelliah, alias Kulam, pourrait avoir déjà été condamné au Sri Lanka. Toujours selon l'avocat genevois, c'était au Ministère public de la Confédération de s'en enquérir, ce qui n'a pas été fait. Il s'acharne ensuite sur l'acte d'accusation. «Trois cent cinquante pages et pas de noms, de dates ou de montants. L'accusation est tellement vague qu'il n'est pas possible de saisir les actes reprochés à mon client et de le défendre», s'insurge-t-il.
Pour la procureure Juliette Noto, ces reproches sont «de mauvaise foi et tardifs», sachant que la défense avait un an et demi pour les faire valoir. Pendant ce temps-là, le rythme cale, au point de pousser l'un des avocats de la défense nommé d'office à la suite du décès de Me Hentz à s'endormir. Tentant de s'opposer à ce choix, son client, Ramakrishnan Kasilingam, veut prendre la parole pour se plaindre de son défenseur à qui il ne fait pas confiance. En vain. La présidente restera inflexible.
L’audience s’éternise
Vers 17h, c'est l'ancien pourfendeur des milieux immobiliers genevois Jean-Pierre Garbade qui se lance dans l'arène. Tablant sur le courage de l'audience, il déclare en avoir pour trois heures de plaidoirie. L'homme de loi, dont le procès sera le dernier de sa longue carrière, commence lentement sa plaidoirie. Alors que les juges semblent groggy par ce premier round, le coup de tonnerre survient. «Comme il ressort des déclarations des directeurs de Bank-now, Monsieur le procureur fédéral Patrick Lamon a menti.» Alors que le silence se fait dans la salle, il reprend: «C'est une accusation très grave et je ne l'ai jamais fait de toute ma carrière. Patrick Lamon a prétendu que l'argent des remboursements des crédits venait de la drogue. Il a forcé Bank-now à faire une dénonciation. Cette histoire de drogue est une invention et a entraîné une violation du secret bancaire.» Selon l'avocat, il lui appartient de prouver qu'ils auraient pu démontrer cette escroquerie sans ce stratagème. Citant l'article 140, il indique que «les preuves obtenues de manière illicite ne sont en aucun cas exploitables».
Il est 20h passées et l'audience s'éternise. Après huit ans de procédure et un procès qui a déjà coûté plusieurs millions au contribuable, difficile de dire si les arguments des avocats feront mouche. Une chose est sûre, le renvoi de la procédure serait un camouflet énorme pour le Ministère public. La magistrate a jusqu'à jeudi au plus tard pour se décider.
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