Feu la France de Gall
Lorsqu’une groupie rejoint son pianiste au «paradis blanc», c’est toute une frange du pays dont elle portait le prénom qui s’en émeut. Les médias lui tracent, lors du «finale» dicté par Thanatos, un parcours quasi chevaleresque de «femme libre et libérée»
Une journaliste du Temps s’est pincée, dimanche sur Facebook, «à écouter les éloges de France Gall»: «Yves Bigot qui prononce «shakespearien» sur BFMTV! […] Une grande dame de la chanson, grandes chansons – Mais arrêtez tout ça. C’est mignon, ça a accompagné quelques décennies en bande-son, mais ça s’arrête là!» «Je n’ose imaginer le jour où Sardou va casser sa pipe…» lui répond une internaute. Ou Mireille Mathieu, tente encore un autre, à peine ironique, auquel ne fait pas écho un troisième qui trouve «un peu normal qu’une ou deux générations pleurent ces gens» qui ont accompagné le rythme de leur jeunesse.
Dans la presse et sur le Net, «un déluge de titres grandiloquents», donc a priori excessifs. Mais non, en fait, car c’est pour dire «l’émotion des gens qui voient la musique de leur jeunesse s’effacer». «Toute une génération» appréhende ainsi «l’approche de sa propre mort». «Le phénomène s’inscrit dans le sentiment confusément partagé «qu’avant, c’était mieux» et que l’avenir de nos enfants est sombre.»
Quoi? La midinette des «Sucettes» que Gainsbourg avait ridiculisée, la muse de Michel Berger – deux des auteurs-compositeurs de variétés les plus marquants de la deuxième moitié du XXe siècle, tout de même! – élevée au rang médiatique d’un éculé stéréotype, d’un improbable «dernier des monstres sacrés»? Bien d’autres ont connu la réhabilitation après la moquerie, à la faveur de la nostalgie ou de la ringardise érigée en art nouveau. Dalida en sait quelque chose. Et Piaf ou Barbara s’en retournent dans leur tombe.
Le même Yves Bigot, journaliste et auteur de la biographie Quelque chose en nous de Michel Berger (Ed. Don Quichotte, 2012) s’est d’ailleurs aussi demandé sur France 2 «pourquoi la mort de France Gall» provoquait «tant d’émotion», sur Twitter notamment. Oui, pourquoi? Parce qu’«elle était la plus grande vedette française» des années 1970 et 1980, dit-il. Et aussi parce qu’elle a beaucoup souffert: la mort de sa fille Pauline, la mort de l’époux mentor de qui elle avait certes quelque chose en elle, son cancer tenace. Pour cela, «c’était notre France», a titré à la une Le Parisien, dont un internaute accumule les majuscules pour se recueillir: «Repose en Paix, Princesse d’enfance…»
Mais, poursuit Bigot, «au-delà de cette intimité, elle exprimait également l’universel, qui était contenu dans les messages de ses chansons, et l’engagement. […] France Gall était une femme libre, une femme qui s’est libérée, […] une interprète remarquable, une très bonne artiste de scène, parce qu’une chanteuse de jazz frustrée d’une certaine façon, mais avec un sens rythmique impeccable.»
Une époque révolue, avec cette mort d’une chanteuse nationalisée qui «sonne le glas de tout un monde qui s’efface désormais, soit par le départ en retraite, soit par décès. Une génération qui […] a fini par apprendre la gravité et qui, désormais […], ne saurait plus incarner la France», assure La Presse de la Manche? Mais que de France ainsi prénommées à sa suite, que de France tout court, quand même! Et que de mémoire collective inscrite dans les gènes de celle dont une revue spécialisée retrace «la généalogie icaunaise et alsacienne»…
La Croix s’en émeut également, de ce passage dans l’au-delà de celle qui était «un peu notre grande soeur»: «– Dis, grand-père, c’est vrai que tu la connaissais déjà, cette chanteuse, quand tu étais ado? […] Une chanson, au beau milieu d’un journal qu’on prend en cours à la radio. Et puis les émissions spéciales qui s’enchaînent. Non, il n’y a pas besoin d’un dessin, dimanche, pour comprendre.» Car «sur un 45 tours» que lui prêtait sa soeur aînée, il écoutait en boucle «Sacré Charlemagne», ce sacré blogueur.
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