Le Temps

«Born to Kill», série anglaise racoleuse

Canal + diffuse dès ce lundi une minisérie anglaise sulfureuse sur un adolescent assassin. Sa cocréatric­e explique la démarche. On peut juger qu’elle débouche sur une fiction d’un piteux opportunis­me

- NICOLAS DUFOUR @NicoDufour

En interview, on dit à Tracey Malone, cocréatric­e de Born to Kill, qu’on n’a pas aimé ce que l’on a vu – deux des quatre épisodes de cette minisérie anglaise sur un adolescent tueur. Elle commence par dire qu’il «aurait fallu tout voir». A la question du caractère discutable du titre et du postulat, «né pour tuer», elle reconnaît «une part de provocatio­n», puis elle précise: «Notez qu’en général, on pense qu’il y a des prédisposi­tions génétiques pour certains tueurs en série. Mais je ne pense pas que l’on naisse tueur. Bien sûr que l’éducation, les parents, le parcours, ont un rôle important.»

Un père absent

Voilà qui est dit, mais qui ne dissipe pas le relatif malaise que peut susciter le visionneme­nt de la minisérie Born to Kill. Des mois après cette rencontre au festival Séries Mania, on a visionné tous les chapitres, et le jugement ne change pas.

Canal+ diffuse dès ce lundi cette récente fiction de Channel 4. Elle suit Sam (Jack Rowan), 16 ans, qui vit avec sa mère Jenny (Romola Garai). Sam croit que son père est mort au champ de bataille en Afghanista­n, il idéalise toujours davantage cette figure absente. En réalité, le géniteur est en prison. Il a assassiné le nouvel ami de Jenny, celui qui a élevé Sam durant quelques années. Le père doit bénéficier d’une libération conditionn­elle contre laquelle lutte Jenny, tout en continuant à mentir à son fils. Sam, lui, tombe amoureux d’une fille qu’il va essayer d’entraîner dans son abysse.

La génétique sur la sellette

Car Sam tue. On ne divulgue rien: c’est bien le programme. Bénévole dans l’hôpital où travaille sa mère, il met à mort l’un des patients. Premier crime.

Le potentiel sulfureux du projet est évident. Les deux auteures tentent de dessiner l’équation du «né pour tuer» – elles vont jusqu’à faire dire à Jenny, à propos du père et du fils: «Ils sont pareils.» Tracey Malone assure qu’avec la cocréatric­e Kate Ashfield, elles ont plongé dans la littératur­e scientifiq­ue traitant du sujet. Pourtant, voici qu’en une phrase, elles mettent à bas des décennies d’interrogat­ions et de recherches. En sus, sans aller jusqu’au bout de leur credo.

Tracey Malone raconte: «A l’origine du projet, Kate et moi vivions à Los Angeles. Nous avions chacune un fils. Nous étions fascinées par la zone d’ombre de nos enfants, des enfants en général; nous voulions en connaître l’origine, si elle est congénital­e ou pas. Nous avons imaginé un tueur en série qui serait vraiment humanisé – ce qui nous a menées à un enfant que l’on verrait grandir.»

Leur démarche, lance la scénariste, remonte à une question aussi simple que complexe: «D’où vient le crime? De la nature ou de l’éducation? Notre série ne va pas permettre de comprendre les tueurs en série. Mais nous voulons explorons les étapes – et si nous connaissio­ns mieux ces étapes, peut-être que ces criminels pourraient être mieux appréhendé­s.»

Un scénario fautif

Au fond, on aurait préféré que Born to Kill soit un brûlot déterminis­te. Les spectateur­s auraient ainsi pu l’aduler ou le conspuer selon leur point de vue, et s’écharper. Le feuilleton aurait déchiré le public, dans un débat qui ne manque pas d’intérêt. C’est ce que font les bonnes séries sur des thèmes de société.

Mais justement, les deux scénariste­s ne tranchent pas pleinement. Elles font en sorte que leur personnage de jeune assassin puisse être vu aussi bien comme tueur programmé par ses gènes que comme une victime du mensonge ambiant. Tracey Malone raconte: «Nous voulions exposer l’élément d’espoir par rapport aux tueurs, le fait qu’ils épargnent certaines personnes. Dans l’esprit de Sam, son

On aurait préféré que «Born to Kill» soit un brûlot déterminis­te. Les spectateur­s auraient ainsi pu l’aduler ou le conspuer selon leur point de vue. Le feuilleton aurait alors donné lieu à un débat qui ne manque pas d’intérêt «Avec Kate Ashfield, nous étions fascinées par la zone d’ombre de nos enfants, des enfants en général» TRACEY MALONE, COCRÉATRIC­E

père est un héros. Il pense à la mort de son père d’une manière qui le conduit à se sentir «pas comme les autres». Il y a en lui une vulnérabil­ité, nous essayons de montrer son évolution. Notre intention est que le spectateur ressente une certaine compassion à son égard. Sam a un vide en lui, qu’il cherche à remplir.»

Une série-coup

Ce qui est loin du point de départ du «né pour tuer». Born to Kill apparaît ainsi comme une fiction d’un pénible opportunis­me, un opportunis­me vide, sans repère ni idéologie qu’il prétendrai­t vraiment singer.

Bardée d’attributs du thriller pour tenir en haleine les amateurs, ce qui n’empêche pas des passages tout à fait ennuyeux dès le troisième chapitre, la minisérie n’est finalement plus ce qu’elle a prétendu être, elle perd le soufre pour dégager une douceâtre odeur. C’est une série-coup, comme un coup marketing. Et il n’en reste que le souvenir d’un vain racolage.

 ?? (WORLD PRODUCTION­S 2017) ?? Sam (Jack Rowan), 16 ans, croit que son père est mort au combat en Afghanista­n alors qu’il croupit en prison. Tout en idéalisant son géniteur, le jeune homme va se livrer à plusieurs crimes. Sa folie meurtrière est-elle imputable à ses gènes, comme le...
(WORLD PRODUCTION­S 2017) Sam (Jack Rowan), 16 ans, croit que son père est mort au combat en Afghanista­n alors qu’il croupit en prison. Tout en idéalisant son géniteur, le jeune homme va se livrer à plusieurs crimes. Sa folie meurtrière est-elle imputable à ses gènes, comme le...

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