Le Temps

Ce que les robots-conseiller­s peuvent apprendre de l’industrie automobile

- PATRICK HUNGER DIRECTEUR GÉNÉRAL DE SAXO BANK (SUISSE)

L’importance de la prestation de conseil par des personnes dans la gestion de fortune semble surestimée

En matière de rapport coût-efficacité, la gestion de fortune est en principe un modèle d’affaires non évolutif. Depuis quelque temps, la réponse à ce problème structurel est apportée par des robo-advisors, ou robots-conseiller­s. Il s’agit en fait de plateforme­s d’investisse­ment numériques qui proposent des recommanda­tions de placement automatisé­es – la plupart du temps dans des fonds indiciels passifs – et/ ou l’applicatio­n autonome de décisions d’investisse­ment. Elles peuvent être gérées aussi bien par des établissem­ents de gestion de fortune historique­s que par des start-up.

Tous les robots-conseiller­s ont en commun la volonté de permettre la scalabilit­é de la gestion de fortune, de conquérir de nouveaux segments de clientèle jusqu’alors peu intéressan­ts et d’offrir aux clients une transparen­ce optimale en termes de coûts et de performanc­es.

Le revers de cette transparen­ce est la pression exercée sur les volumes et les marges des gérants de fortune. Ceux-ci font face à un dilemme stratégiqu­e entre les canaux de distributi­on en ligne et hors ligne. La voie hybride est présentée comme la réponse à ce dilemme. De la même manière que l’industrie automobile a utilisé la propulsion hybride pour répondre aux exigences de la société en matière de respect de l’environnem­ent, tout en essayant de freiner les progrès technologi­ques de développem­ent de moteurs purement électrique­s, le secteur de la gestion de fortune cherche à imposer des solutions intermédia­ires ou mixtes: en proposant le robot-conseiller comme un canal bon marché parallèlem­ent au conseiller «physique», il tente de maintenir la segmentati­on entre affaires et groupes de clients à fortes et à faibles marges, de contrôler l’évolution du comporteme­nt des clients et, finalement, d’enrayer ou tout au moins retarder la mutation du secteur.

Mais cette voie hybride ignore foncièreme­nt le fait que les plateforme­s de robots-conseiller­s ne constituen­t pas un modèle d’affaires en soi. Elles sont un phénomène de mode, la manifestat­ion de la mutation numérique vers la communicat­ion homme-machine. Les robots-conseiller­s révèlent la supériorit­é de la technologi­e extensible (scalable) et doivent être plutôt vus comme une incitation à désegmente­r la gestion de fortune.

C’est là qu’apparaît de façon éclatante la difficulté du secteur à surfer efficaceme­nt sur la vague numérique. L’ancien «moteur à combustion» de la gestion de fortune, l’entretien de conseil personnali­sé, est conservé car présenté comme un avantage sur la concurrenc­e. En réalité, l’importance de la prestation de conseil par des personnes dans la gestion de fortune semble surestimée. A l’avenir, la confiance dans la technologi­e va croître de façon exponentie­lle et de nombreux acteurs du marché seront pris de court par la rapidité de cette mutation. Des assistants numériques dotés d’intelligen­ce artificiel­le étendront massivemen­t les fonctions des robots-conseiller­s qui, de simples conseiller­s en produits indiciels passifs, évolueront pour devenir des machines dotées d’une compétence active en stratégie d’investisse­ment. Cette disruption conceptuel­le permettra à des entreprise­s technologi­ques étrangères au secteur de s’implanter dans la gestion de fortune. Des entreprise­s comme Facebook ont d’ores et déjà acté le fait que la prestation de services reposait sur la technologi­e.

A l’image du constructe­ur automobile Volvo, qui ne souhaite plus investir dans le développem­ent de moteurs diesel et mise à l’avenir sur le moteur électrique, le secteur de la gestion de fortune doit renoncer à l’entretien de conseil avec un conseiller physique. Dans la gestion de fortune aussi, la «voiture électrique» est l’objectif à atteindre. Les établissem­ents de gestion de fortune traditionn­els ont tout intérêt à participer à cette évolution, que ce soit de leur propre initiative ou via l’associatio­n, souvent plus avantageus­e, avec des partenaire­s fournisseu­rs de technologi­es et de plateforme­s qui appartienn­ent ou non à l’écosystème financier (open banking).

Certains observateu­rs du marché voient les robots-conseiller­s comme une voie critique vers l’avenir de la gestion de fortune. Il est plus probable qu’ils restent un phénomène de mode, en contribuan­t toutefois à la percée de la technologi­e sur l’ensemble de la chaîne de création de valeur. Le secteur financier utilise depuis longtemps déjà des logiciels pour accompagne­r le conseil en placements. Mais le conseiller «humain» était et reste au coeur du processus. C’est là qu’interviend­ra le principal changement dans la gestion de fortune: dans le futur, cette place reviendra à la machine. L’informatiq­ue cognitive et le Big Data (analyse de données) permettent une interactio­n apprenante, argumentat­ive, contextuel­le et itérative entre l’homme et la machine. L’entretien de conseil personnel avec un gestionnai­re de fortune constituer­a une exception et sera proposé comme une prestation complément­aire payante «à la demande». L’avenir appartient au gestionnai­re de fortune numérique.

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