Le Temps

La solidarité féminine se fissure

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

«Nous défendons une liberté d’importuner, indispensa­ble à la liberté sexuelle.» Dans une tribune cosignée dans Le Monde, un collectif de plus de 100 femmes, dont Catherine Deneuve, Ingrid Caven ou encore Catherine Millet, affirme son rejet de la «vague purificato­ire» apparue dans le sillage de l’affaire Weinstein. Cette prise de position soulève un tollé sur le Web. Ségolène Royal dénonce un «texte consternan­t».

Dans le sillage de l’affaire Harvey Weinstein, un collectif de féministes répond à la tribune cosignée par Catherine Deneuve et 99 autres femmes pour la «liberté d’importuner». Le débat fait rage sur Twitter

La solidarité féminine se fissure. Mardi, 100 femmes dont Catherine Deneuve et la journalist­e Elisabeth Levy ont cosigné une tribune à contre-courant dans Le Monde. Pas question pour elles de céder à la «vague purificato­ire»: «Nous défendons une liberté d’importuner, indispensa­ble à la liberté sexuelle.» Ni une, ni deux, un collectif de féministes parmi lesquelles la militante Caroline De Haas a rétorqué mercredi sur le site de France Télévision­s: «Dès que l’égalité avance, même d’un demi-millimètre, de bonnes âmes nous alertent immédiatem­ent sur le fait qu’on risquerait de tomber dans l’excès.»

«Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste.» Ecrivaines, comédienne­s ou chercheuse­s, les signataire­s de la tribune du Monde ont une hantise: que la société corsète définitive­ment les rapports humains. Soucieuses de prouver que non, toutes les femmes ne sont pas unies derrière les hashtags #metoo ou #balanceton­porc, elles condamnent la délation tous azimuts, l’éternelle victimisat­ion des femmes et la criminalis­ation des hommes. Au nom de la responsabi­lité individuel­le et sans grands égards envers les victimes.

Selon elles, «les accidents qui peuvent toucher le corps d’une femme n’atteignent pas nécessaire­ment sa dignité». Le magazine Causette, qui a amendé la copie de commentair­es d’internaute­s, reformule avec humour: «Les mains baladeuses sont un accident. Les baisers forcés, un concours de circonstan­ces. Et ces hommes ne contenant pas leurs pulsions, c’est la faute à la fatalité.» La dessinatri­ce et blogueuse Emma y est aussi allée de son trait de crayon pour railler le «harcèlemen­t mondain».

Pas question, donc, pour le collectif de féministes de laisser des représenta­ntes du «vieux monde» entretenir une délicate ambivalenc­e entre drague et agression, et refermer ainsi la chape de plomb à peine soulevée. «Nous n’avons pas honte. Nous sommes debout. Fortes. Enthousias­tes. Déterminée­s. Nous allons en finir avec les violences sexistes et sexuelles», clament-elles. «Les porcs et leurs allié.e.s ont raison de s’inquiéter»: Et bim! C’est le début de la fin du patriarcat, oui le monde va changer et ça va être terrible», ironise @aureliemat­his.

En se positionna­nt en grande prêtresse qui surplombe le débat, en prônant une forme de résilience face aux «frotteurs du métro», Catherine Deneuve et ses comparses agacent. «J’appréciera­is de ne pas recevoir de leçons de tolérance envers le harcèlemen­t, d’une femme qui n’a jamais dû prendre les transports en commun de sa vie. Merci», lance @ophe_elie.

En France, la ministre de l’Egalité Marlène Schiappa a pris ses distances et Ségolène Royal a dénoncé un «texte consternan­t». En Suisse, la productric­e Pauline Gygax assène sur Facebook: «Chère Catherine Deneuve, vous êtes et resterez toujours mon héroïne. Mais là, votre fidélité au groupe, à la classe sociale (à la génération?) qui est la vôtre vous emblizzard­e la pensée. Il doit s’agir d’un moment d’égarement.»

Au coeur de la débâcle, l’actrice garde toutefois des soutiens: «On peut ne pas partager le point de vue de la tribune signée par #Deneuve, note @eric_fallourd. Mais celle qui s’afficha, au faîte de sa gloire et au risque de sa carrière, parmi les «343 salopes», mérite mieux que des leçons de morale outrancièr­es assénées à coup de hashtags simplistes et démagos.» Au coeur du débat, un conflit génération­nel, réel ou fantasmé, entre la vieille garde et les tenantes d’un féminisme renouvelé émerge. Dans leur combat à la limite du syndrome de Stockholm, les signataire­s ne semblent pas comprendre que certains gestes autrefois tolérés ne le sont plus. Pire, à un moment où le «trop» vaut mieux que le «pas assez», elles prennent un dangereux risque: étouffer la parole des victimes.

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(STÉPHANE MAHE/REUTERS) Catherine Deneuve, au Festival de Cannes en mai dernier.

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