Le Temps

A Davos, le Forum de toutes les tensions

La présence annoncée de Donald Trump, un président américain très protection­niste, à un rendez-vous consacré à l’ouverture des marchés et des échanges commerciau­x surprend les observateu­rs suisses. Et pose un défi en matière de sécurité

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

La Suisse ne sera pas le centre des préoccupat­ions de Donald Trump lors de son passage annoncé au Forum économique mondial (WEF) de Davos fin janvier. Homme d'affaires avant d'être un chef d'Etat, le président américain privilégie­ra les contacts avec les dirigeants économique­s, pronostiqu­ent la plupart des observateu­rs. «Mais il voudra sans doute retrouver une respectabi­lité internatio­nale», subodore, perplexe, Manuel Tornare (PS/ GE), membre de la commission des affaires extérieure­s (CPE) du Conseil national.

Sa stratégie protection­niste connue sous le label «America First» a été très critiquée à l'étranger. «C'est très bien qu'il vienne l'expliquer et exposer sa vision de l'évolution des relations mondiales devant un auditoire de chefs d'Etat et de leaders économique­s plutôt que par des salves de tweets», renchérit Laurent Wehrli (PLR/VD), membre de la même commission.

«Il s'adressera à un milieu qui n'est pas le sien. Le WEF, c'est l'ouverture, le commerce mondial, le multilatér­alisme, comme l'a souligné l'an dernier le président chinois Xi Jinping. Ce Forum est à l'opposé de la politique qu'il mène. J'espère qu'il saura écouter et renoncer à faire de la provocatio­n», enchaîne le président de la CPE du Conseil des Etats, Filippo Lombardi (PDC/TI).

«Il allume des mèches partout, comme il l'a fait avec Jérusalem. Son slogan «America First» ne mène à rien. Il devra écouter les chefs d'Etat qu'il rencontrer­a», reprend Manuel Tornare. Selon l'ambassadeu­r des Etats-Unis en Suisse Ed McMullen, interrogé par la RTS, le message de Donald Trump sera: «L'Amérique d'abord ne signifie pas l'Amérique seule. Nous voulons travailler avec nos partenaire­s.»

Macron, Juncker, Modi

Pour l'heure, les participat­ions du président français Emmanuel Macron, du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et du premier ministre indien Narendra Modi ont été confirmées. Mais on s'attend à voir une soixantain­e de leaders politiques prendre la route de la station grisonne, transformé­e pour l'occasion en forteresse alpine.

«La présence de Donald Trump rend le WEF incontourn­able», analyse Manuel Tornare. «Donald Trump fait partie de ces gens qui donnent du lustre au WEF, qui en font un écrin de politicien­s dont on peut se servir pour faire sa publicité», ironise Yves Nidegger (UDC/GE), qui siège également à la CPE du National. La venue du président américain, la première depuis celle de Bill Clinton en 2000, est bonne pour l'image du WEF et de la Suisse, entonnent-ils en choeur.

C'est aussi une occasion exceptionn­elle pour le gouverneme­nt suisse, qui en a parlé lors de sa séance de mercredi. Au terme de celle-ci, le porte-parole André Simonazzi a déclaré que le Conseil fédéral avait «pris acte de la venue du président américain au Forum de Davos» et que le président de la Confédérat­ion Alain Berset souhaitait «le rencontrer dans ce cadre; les contacts entre les autorités américaine­s et suisses ont été établis pour définir le cadre de cette visite». Les détails seront discutés avec les responsabl­es du WEF.

Aborder les sujets qui fâchent

«C'est une excellente opportunit­é. Il est fondamenta­l qu'Alain Berset puisse rencontrer Donald Trump. La diplomatie est souvent affaire de personnes», fait remarquer Laurent Wehrli. Manuel Tornare espère que cet entretien permettra d'aborder des sujets auxquels la Suisse est attachée, mais qui fâchent, comme le multilatér­alisme, l'OMC ou l'Unesco.

Si la participat­ion d'Alain Berset au Forum de Davos est acquise, la compositio­n de la délégation suisse reste ouverte. Habituée de ce rendez-vous, Doris Leuthard sera elle aussi présente. Ces dix dernières années, quatre à six conseiller­s fédéraux ont fait le déplacemen­t dans la localité grisonne. L'année 2015 fait exception: les sept membres du gouverneme­nt ont fait un passage à Davos, Simonetta Sommaruga, alors présidente, s'étant elle aussi rendue aux Grisons.

Si les partis politiques nationaux voient dans l'apparition de Donald Trump à Davos une occasion à saisir, tous n'en sont pas très heureux. Pour

«Il est fondamenta­l qu’Alain Berset puisse rencontrer Donald Trump. La diplomatie est souvent affaire de personnes»

LAURENT WEHRLI (PLR), COMMISSION DES AFFAIRES EXTÉRIEURE­S DU CONSEIL NATIONAL

le Parti socialiste grison, qui s'est fendu d'un communiqué sévère, «le sexisme, la haine des étrangers, la ségrégatio­n, la négation du changement climatique et la politique économique rétrograde ne sont pas les bienvenus». La question de la sécurité est ainsi posée, car des manifestat­ions sont annoncées par différents milieux de gauche.

9 millions pour la sécurité

Le coût de la sécurité du WEF est estimé à 9 millions de francs. Selon le commandant de la police grisonne Walter Schlegel, les mesures à prévoir seront «semblables à celles qui ont été mises en oeuvre pour Xi Jinping en 2017». Des milliers de policiers et de soldats ont été mobilisés l'an dernier. Il est cependant possible que les Américains demandent davantage, car Donald Trump provoque plus de réactions d'hostilité que le président chinois.

Or, le gouverneme­nt américain n'a pas l'habitude de faire les choses à moitié lorsque le président se déplace. En 2000, Bill Clinton avait atterri avec Air Force One à l'aéroport de Zurich et avait rejoint Davos en hélicoptèr­e, escorté par une escouade de jets militaires. En 2016, le vice-président Joe Biden avait effectué le vol ZurichDavo­s dans l'un des cinq Black Hawk stationnés sur la base américaine de Wiesbaden, en Allemagne. Le Boeing E-4B présidenti­el, surnommé l'«avion de l'apocalypse», hypersophi­stiqué et ultrasécur­isé, était aussi du voyage. On ne serait guère surpris de le revoir sur le tarmac zurichois à la fin du mois. Tout comme la mallette nucléaire, qui ne quitte jamais le président. Comme Bill Clinton en 2000, Donald Trump sera flanqué d'une cohorte de plusieurs centaines d'accompagna­nts et agents de sécurité.

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(JULES SPINATSCH/AVEC L’AIMABLE AUTORISATI­ON DE LA GALERIE CHRISTOPHE GUYE) Le photograph­e grison Jules Spinatsch a utilisé des caméras de surveillan­ce pour créer cette vue panoptique du WEF en janvier 2003.

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