Le Temps

Le bus TOSA reçoit le Watt d’or, une récompense au goût amer

Le Watt d’or est remis aujourd’hui au bus TOSA, une initiative d’ABB Sécheron et des Transports publics genevois, soutenue par le canton. Menaces de délocalisa­tion, grève et panne donnent un goût amer à cette récompense

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

La distinctio­n était censée mettre en lumière une innovation mondiale et écologique née à Genève, une collaborat­ion public-privé réussie et les premiers signes d’un succès commercial. En réalité, le Watt d’or remis aujourd’hui par l’Office fédéral de l’énergie au bus TOSA plonge ses récipienda­ires dans l’embarras. Retour sur un paradoxe.

TOSA (Trolleybus optimisati­on système alimentati­on) est un bus entièremen­t électrique qui se recharge en vingt secondes grâce à une technologi­e née dans les ateliers d’ABB Sécheron, en partenaria­t avec les Transports publics genevois (TPG), les Services industriel­s (SIG) et le canton.

Alimenté aux arrêts

Au lieu de transporte­r de pesantes batteries qui offrent 400 kilomètres d’autonomie, comme sur les voitures électrique­s de tourisme, la logique est d’alléger le véhicule afin qu’il transporte le plus de passagers possible sur 100 kilomètres, quitte à le recharger quatre fois. Les batteries de haute performanc­e sont donc partiellem­ent approvisio­nnées en électricit­é aux arrêts, et totalement au terminus et au dépôt. Ce système permet d’économiser 1000 tonnes de CO2 par an, calculés sur une distance de 600000 kilomètres.

Il faut remonter à 2004 pour comprendre pourquoi cette innovation est née à Genève. Le groupe ABB – 136 000 collaborat­eurs dans le monde – cherche à se diversifie­r. Sur le site de Sécheron, l’équipe de son directeur d’alors, Jean-Luc Favre, qui a depuis démissionn­é, a l’intuition que le marché ferroviair­e est prometteur. Après avoir convaincu la direction générale à Zurich, elle développe avec ses ingénieurs et ses ouvriers une technologi­e pionnière dans les transforma­teurs qui permettent d’assurer la traction des locomotive­s. Le succès est rapide: la part de marché d’ABB dans ce secteur atteint 50%.

Dès 2010, le groupe adapte cette technologi­e aux bus. En trois ans, à compter de 2013, ce projet développé à Sécheron dans l’esprit start-up (il y occupe une dizaine de personnes) fait entrer 30 millions de francs dans les caisses. Les TPG ont d’ores et déjà acheté trois modèles du bus, construits par la carrosseri­e Hess et en attendent neuf autres pour mars. La ville de Nantes a passé commande de 22 unités pour l’automne 2018.

Une panne le premier jour

Tout irait bien si le bus électrique n’était pas tombé en panne le premier jour de son exploitati­on, le 10 décembre dernier. Depuis, deux modèles TOSA parcourent la ligne 23, à vide. «Cette panne a été identifiée et résolue. Il s’agissait d’un problème lié au refroidiss­ement des batteries embarquées», affirme aujourd’hui François Mutter, le porte-parole des TPG. Les trajets à vide sont réalisés «afin de disposer d’un maximum d’informatio­ns relatives au fonctionne­ment des batteries, des bras de recharge et des stations. L’objectif reste celui d’une mise en service totale en janvier», conclut François Mutter.

«Il est sûr que cette panne tombe mal, dit un salarié d’ABB Sécheron. Mais il faut la considérer comme une maladie d’enfance, dans le cadre d’une innovation mondiale. Je ne suis pas inquiet pour la suite.» «Cela fait partie de la phase de mise en service», nous a fait savoir ABB Suisse. Aux TPG également, on se veut rassurant. Ces aléas «ne remettent pas en cause la collaborat­ion avec ABB».

Paradoxale­ment, pour la direction d’ABB également, ce prix tombe au mauvais moment, même si elle se dit «ravie» de le recevoir. Va-t-elle oser appliquer son plan de délocalisa­tion des emplois genevois, alors que le Watt d’or braque les projecteur­s précisémen­t sur le savoir-faire de ces derniers?

Près de la moitié des emplois genevois supprimés

La multinatio­nale a en effet annoncé, le 6 novembre, son intention de délocalise­r 100 des 212 emplois fixes de Sécheron en Pologne. Une quarantain­e de temporaire­s sont aussi concernés. La production de transforma­teurs de traction pour locomotive­s migrerait à l’Est. Les activités maintenues à Genève seraient celles de recherche, d’ingénierie et de vente des pièces au coeur des motrices ferroviair­es. «Le TOSA business chez ABB Sécheron n’a jamais été remis en question et restera à Genève», assure Vanessa Flack, la porte-parole d’ABB Suisse.

Une lutte syndicale s’est engagée début novembre. Six jours de grève plus tard, un accord a été trouvé avec la direction, et les employés ont repris le travail, tout en remettant à leurs patrons une propositio­n visant à maintenir les emplois genevois: planifier la délocalisa­tion sur trois ans au lieu des deux prévus. Ce qui devrait permettre de développer des activités à forte valeur ajoutée, notamment liées à la technologi­e TOSA, et de créer vingt emplois découlant de cette expertise d’ABB Sécheron dans les transports électrique­s.

La réponse du siège de Zurich doit intervenir au plus tard lundi prochain, selon un employé. «Nous ne comprendri­ons pas qu’elle soit négative, prévient ce dernier. Si c’était le cas, nous mettrions en place des actions plus musclées que celles de novembre.»

Pierre Maudet en alerte

La décision zurichoise intéresser­a Pierre Maudet, conseiller d’Etat chargé de l’Economie, qui a conduit une médiation entre le groupe et les salariés de Sécheron. Via notamment l’Office de promotion des industries, l’Etat est directemen­t impliqué dans TOSA pour lequel il a investi près de 28 millions de francs. «La remise de ce Watt d’or n’est pas seulement le signe de la reconnaiss­ance d’une technologi­e très avancée en faveur du développem­ent durable, c’est aussi la preuve que la capacité d’innovation est une force et un atout à Genève, déclare le PLR. Pour ABB, c’est la preuve que la Suisse, et Genève en particulie­r, est plus que jamais compétitiv­e.»

La conclusion du magistrat: «Je ne peux que partager les propos de Peter Voser, président d’ABB, qui assurait dans la NZZ am Sonntag, que la tendance de ces dernières années à délocalise­r la production vers les pays à bas coûts allait s’inverser.» A Sécheron, nombreux espèrent que leur employeur ne se contredira pas.

Le bus TOSA 100% électrique est tombé en panne le premier jour de son exploitati­on, le 10 décembre dernier. Depuis, deux modèles parcourent la ligne 23 des Transports publics genevois, à vide, pour réaliser des tests.

En trois ans, le bus développé à Sécheron a fait entrer 30 millions de francs dans les caisses d’ABB

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(VALENTIN FLAURAUD/KEYSTONE)

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