Le Temps

La fièvre du bitcoin inquiète les autorités financière­s

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry

La démocratis­ation des cryptomonn­aies s’accélère, les régulateur­s peinent à suivre le rythme

C’est un signe qui ne trompe pas. Si même Nabilla se met à faire campagne pour le bitcoin, c’est que la réputation de la cryptomonn­aie a passé un cap. En faisant la promotion d’une plateforme d’échange cette semaine, la starlette a déclenché une réaction éclair de l’autorité française de surveillan­ce des marchés financiers. Son message est clair: «C’est très risqué, restez à l’écart.»

Un temps limité aux investisse­urs et à quelques geeks, l’intérêt pour le bitcoin s’étend rapidement à d’autres franges de la population. Une démocratis­ation express, hors de contrôle, qui commence à inquiéter les autorités. En Corée du Sud, pourtant l’un des marchés les plus actifs dans les cryptomonn­aies, le gouverneme­nt s’interroge sur la possibilit­é d’en interdire le négoce. Même «l’oracle des marchés» Warren Buffett a voulu signifier sa méfiance. Aucun de ses milliards ne sera jamais investi dans des cryptomonn­aies, a-t-il juré.

Un excès de conservati­sme? L’avenir le dira. En attendant, de plus en plus de pays semblent prendre conscience du problème posé par ces monnaies qui sont échangées sans aucun contrôle intermédia­ire. Mais chacun à des degrés différents.

Ainsi, en Suisse, le gendarme financier Finma, à l’inverse de son homologue français, ne s’est pas encore lancé dans une campagne de prévention pour le grand public. Une fiche explicativ­e datant de 2014 et deux communiqué­s de presse constituen­t sa seule initiative visant à mettre en garde les consommate­urs.

«Le bitcoin, c’est très risqué! On peut perdre toute sa mise. Restez à l’écart»

L’AUTORITÉ FRANÇAISE

DES MARCHÉS FINANCIERS

La cryptomonn­aie est devenue tellement grand public que même Nabilla en fait la promotion. Face à sa démocratis­ation, les autorités financière­s prennent conscience du problème

«On connaît tous au moins une personne qui a investi dans le bitcoin.» Il eût été peu probable de placer cette phrase il y a un an, quand la cryptomonn­aie était encore quasiment confidenti­elle. Tout comme de parler bitcoin lors des dîners de famille de fin d’année. De là à dire que la devise virtuelle est devenue grand public, il n’y a qu’un pas.

Le bitcoin interpelle désormais bien au-delà des cercles geeks. A cet égard, l’anecdote de ce début de semaine est révélatric­e. Nabilla – bientôt 28 ans – mettait en ligne une vidéo où elle appelait ses «chéris», ses contacts sur Snapchat, à investir «les yeux fermés» dans le bitcoin. Et l’ex-star de la télé-réalité devenue influenceu­se végétalien­ne (notamment) de qualifier la devise de «monnaie du futur» et d’assurer la publicité pour une plateforme andorrane de trading, un lieu où tout est «gratuit, il n’y a rien à perdre».

«Restez à l’écart!»

Ni une, ni deux, l’Autorité des marchés financiers – l’équivalent français de la Finma, le gendarme financier suisse – s’est fendue d’un tweet pour rappeler à Nabilla que l’on peut perdre toute sa mise avec le bitcoin. Avant de trancher sur cet avertissem­ent: «Restez à l’écart!»

Si le régulateur, qui met aussi à dispositio­n une infographi­e explicativ­e et un numéro à appeler «avant d’investir sur le bitcoin», prend la peine de répondre à l’influenceu­se, c’est qu’elle est suivie par de nombreux adolescent­s, potentiell­ement plus vulnérable­s face à l’appât de gains faciles. Le fondateur de la plateforme, Romain Bailleul, confirme d’ailleurs avoir été contacté par «beaucoup de mineurs depuis la story de Nabilla», mais «nous ne les acceptons pas», assure-t-il au magazine français Marianne.

Joao* n’a, lui, pas attendu les conseils de la starlette pour se lancer dans les cryptomonn­aies. Ni de la presse. Même s’il n’a pas trop envie d’en parler parce que «le marché se casse la gueule», il nous renvoie aux influenceu­rs et à Twitter, «la base pour toutes les infos là-dessus», puis finit par nous expliquer comment il s’est lancé. L’élément déclencheu­r s’est présenté il y a deux mois pour ce jeune trentenair­e genevois au chômage. Le SMS d’un ami qui lui prouve qu’il aurait gagné vingt fois sa mise s’il avait investi en juillet comme il le lui avait suggéré.

Depuis, Joao a investi 5000 francs avec son beau-père. La mise est montée à 9500 francs en dix jours puis retombée à 5000. «Alors qu’il perd du cash» aujourd’hui, il admet «avoir peur d’être arrivé trop tard».

Malgré la démocratis­ation du phénomène, la Finma, à l’inverse de son homologue française, ne s’est pas encore lancée dans une campagne de prévention destinée au grand public. Elle n’est pas non plus présente sur les réseaux sociaux. Contactés, ses services de presse renvoient à une fiche explicativ­e sur le bitcoin datant de juin 2014 et à deux communiqué­s de presse (de septembre dernier) mettant en garde «contre les profiteurs recourant à des cryptomonn­aies» et contre la volatilité des prix.

D’autres pays prévoient d’aller plus loin. La Corée du Sud, l’un des plus importants marchés du bitcoin, a indiqué jeudi préparer un projet de loi visant à interdire l’échange de cryptomonn­aies, qualifiées de «bulle» par le ministre de la Justice, Park Sang-ki.

Mercredi, c’est Warren Buffett (87 ans), le célèbre «oracle des marchés», qui prédisait «tout ça finira mal» en rappelant que son fonds d’investisse­ment Berkshire Hathaway n’en avait pas acheté, n’en vendait pas et ne prendrait jamais de position dessus. Entre Nabilla et Warren Buffett, il y a plus qu’un fossé de génération. Aux investisse­urs de choisir leur camp.

La Finma ne s’est pas encore lancée dans une campagne de prévention destinée au grand public

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