La fièvre du bitcoin inquiète les autorités financières
La démocratisation des cryptomonnaies s’accélère, les régulateurs peinent à suivre le rythme
C’est un signe qui ne trompe pas. Si même Nabilla se met à faire campagne pour le bitcoin, c’est que la réputation de la cryptomonnaie a passé un cap. En faisant la promotion d’une plateforme d’échange cette semaine, la starlette a déclenché une réaction éclair de l’autorité française de surveillance des marchés financiers. Son message est clair: «C’est très risqué, restez à l’écart.»
Un temps limité aux investisseurs et à quelques geeks, l’intérêt pour le bitcoin s’étend rapidement à d’autres franges de la population. Une démocratisation express, hors de contrôle, qui commence à inquiéter les autorités. En Corée du Sud, pourtant l’un des marchés les plus actifs dans les cryptomonnaies, le gouvernement s’interroge sur la possibilité d’en interdire le négoce. Même «l’oracle des marchés» Warren Buffett a voulu signifier sa méfiance. Aucun de ses milliards ne sera jamais investi dans des cryptomonnaies, a-t-il juré.
Un excès de conservatisme? L’avenir le dira. En attendant, de plus en plus de pays semblent prendre conscience du problème posé par ces monnaies qui sont échangées sans aucun contrôle intermédiaire. Mais chacun à des degrés différents.
Ainsi, en Suisse, le gendarme financier Finma, à l’inverse de son homologue français, ne s’est pas encore lancé dans une campagne de prévention pour le grand public. Une fiche explicative datant de 2014 et deux communiqués de presse constituent sa seule initiative visant à mettre en garde les consommateurs.
«Le bitcoin, c’est très risqué! On peut perdre toute sa mise. Restez à l’écart»
L’AUTORITÉ FRANÇAISE
DES MARCHÉS FINANCIERS
La cryptomonnaie est devenue tellement grand public que même Nabilla en fait la promotion. Face à sa démocratisation, les autorités financières prennent conscience du problème
«On connaît tous au moins une personne qui a investi dans le bitcoin.» Il eût été peu probable de placer cette phrase il y a un an, quand la cryptomonnaie était encore quasiment confidentielle. Tout comme de parler bitcoin lors des dîners de famille de fin d’année. De là à dire que la devise virtuelle est devenue grand public, il n’y a qu’un pas.
Le bitcoin interpelle désormais bien au-delà des cercles geeks. A cet égard, l’anecdote de ce début de semaine est révélatrice. Nabilla – bientôt 28 ans – mettait en ligne une vidéo où elle appelait ses «chéris», ses contacts sur Snapchat, à investir «les yeux fermés» dans le bitcoin. Et l’ex-star de la télé-réalité devenue influenceuse végétalienne (notamment) de qualifier la devise de «monnaie du futur» et d’assurer la publicité pour une plateforme andorrane de trading, un lieu où tout est «gratuit, il n’y a rien à perdre».
«Restez à l’écart!»
Ni une, ni deux, l’Autorité des marchés financiers – l’équivalent français de la Finma, le gendarme financier suisse – s’est fendue d’un tweet pour rappeler à Nabilla que l’on peut perdre toute sa mise avec le bitcoin. Avant de trancher sur cet avertissement: «Restez à l’écart!»
Si le régulateur, qui met aussi à disposition une infographie explicative et un numéro à appeler «avant d’investir sur le bitcoin», prend la peine de répondre à l’influenceuse, c’est qu’elle est suivie par de nombreux adolescents, potentiellement plus vulnérables face à l’appât de gains faciles. Le fondateur de la plateforme, Romain Bailleul, confirme d’ailleurs avoir été contacté par «beaucoup de mineurs depuis la story de Nabilla», mais «nous ne les acceptons pas», assure-t-il au magazine français Marianne.
Joao* n’a, lui, pas attendu les conseils de la starlette pour se lancer dans les cryptomonnaies. Ni de la presse. Même s’il n’a pas trop envie d’en parler parce que «le marché se casse la gueule», il nous renvoie aux influenceurs et à Twitter, «la base pour toutes les infos là-dessus», puis finit par nous expliquer comment il s’est lancé. L’élément déclencheur s’est présenté il y a deux mois pour ce jeune trentenaire genevois au chômage. Le SMS d’un ami qui lui prouve qu’il aurait gagné vingt fois sa mise s’il avait investi en juillet comme il le lui avait suggéré.
Depuis, Joao a investi 5000 francs avec son beau-père. La mise est montée à 9500 francs en dix jours puis retombée à 5000. «Alors qu’il perd du cash» aujourd’hui, il admet «avoir peur d’être arrivé trop tard».
Malgré la démocratisation du phénomène, la Finma, à l’inverse de son homologue française, ne s’est pas encore lancée dans une campagne de prévention destinée au grand public. Elle n’est pas non plus présente sur les réseaux sociaux. Contactés, ses services de presse renvoient à une fiche explicative sur le bitcoin datant de juin 2014 et à deux communiqués de presse (de septembre dernier) mettant en garde «contre les profiteurs recourant à des cryptomonnaies» et contre la volatilité des prix.
D’autres pays prévoient d’aller plus loin. La Corée du Sud, l’un des plus importants marchés du bitcoin, a indiqué jeudi préparer un projet de loi visant à interdire l’échange de cryptomonnaies, qualifiées de «bulle» par le ministre de la Justice, Park Sang-ki.
Mercredi, c’est Warren Buffett (87 ans), le célèbre «oracle des marchés», qui prédisait «tout ça finira mal» en rappelant que son fonds d’investissement Berkshire Hathaway n’en avait pas acheté, n’en vendait pas et ne prendrait jamais de position dessus. Entre Nabilla et Warren Buffett, il y a plus qu’un fossé de génération. Aux investisseurs de choisir leur camp.
La Finma ne s’est pas encore lancée dans une campagne de prévention destinée au grand public