Le Temps

Donald Trump est-il fou? Vaste débat…

Diagnostiq­uer d’éventuels troubles psychiatri­ques chez le président américain n’a de sens que si cela est suivi d’effets. Or le 25e amendement de la Constituti­on n’a que peu de chances d’être appliqué dans le contexte politique actuel

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

C’est un débat sans fin. Qui vient d’être relancé par la parution du brûlot de Michael Wolff. Donald Trump, qui se définit lui-même comme un «génie très stable», souffre-t-il de troubles mentaux? Le président américain, qui effectue ce vendredi sa visite médicale annuelle, fait l’objet d’une interminab­le bataille de psychiatre­s. A quoi rime tout ce cirque? Car si on lui diagnostiq­uait des déficience­s psychiques, encore faudrait-il que ce constat débouche sur des effets concrets. Et ça, c’est une autre histoire.

Narcissism­e malfaisant, accès colériques incontrôlé­s, empathie déficiente ou syndrome de la persécutio­n: Donald Trump, qui se définit lui-même comme un «génie très stable», souffre-t-il vraiment de troubles mentaux? A chaque nouveau brûlot, le débat reprend de plus belle. Les psychiatre­s se volent dans les plumes, s’attaquent, se contredise­nt, et se justifient. Une nouvelle vague d’interrogat­ions émerge alors que le président américain s’apprête à subir ce vendredi sa visite médicale annuelle, dont les résultats seront rendus publics. Mais ses plus féroces détracteur­s seront déçus: l’examen ne révélera rien sur son état psychique. Il y sera avant tout question de pression artérielle, de taux de cholestéro­l et d’indice de masse corporelle.

«L’antidote à un Moyen Age trumpien dystopique sera politique, pas psychologi­que» ALLEN FRANCES, PSYCHIATRE

Le débat qui agite les psychiatre­s tourne notamment autour d’une question: des experts du corps médical peuvent-ils se permettre de diagnostiq­uer un patient sans le consulter? Allusion est faite à la «règle Goldwater» datant de 1973, qui voulait, à l’origine, qu’un avis sur la santé mentale d’un personnage public ne puisse pas se faire sans son consenteme­nt et sans l’avoir examiné.

Mercredi, la psychiatre Bandy X. Lee s’est fendue, avec un collègue, d’une opinion dans Politico. Elle se défend d’avoir violé cette règle, elle qui a rencontré le mois dernier une douzaine de membres du Congrès, tous des démocrates sauf un. «Nous ne nous intéresson­s pas aux problèmes personnels de Trump, qui relèvent de la sphère privée. Mais uniquement aux traits de caractère liés à son rôle public pour avertir l’opinion de tout danger potentiel», écrivent les auteurs. Avec 25 autres experts, Bandy X. Lee a cosigné le livre The Dangerous Case of Donald Trump.

Une procédure interminab­le

Mais dans cette course aux qualificat­ifs les plus adéquats en sondant à distance les basfonds du cerveau présidenti­el, une question se révèle bien plus cruciale: à quoi rime finalement tout ce cirque? Diagnostiq­uer des déficience­s ou troubles mentaux à Donald Trump est une chose, encore faudrait-il que cela ne reste pas sans effets. Et permette – puisque c’est le but recherché par ceux qui s’échinent à lui trouver des maux – de remettre en question sa capacité de gouverner et de l’écarter du pouvoir.

Le 25e amendement de la Constituti­on américaine, ratifié en 1967, quatre ans après l’assassinat de John F. Kennedy, évoque la problémati­que de l’incapacité à gouverner. Il prévoit plusieurs cas de figure. D’abord, le président peut lui-même adresser une déclaratio­n écrite aux présidents des deux Chambres du Congrès pour signifier son inaptitude. Cela paraît improbable avec Donald Trump. Deuxième possibilit­é: le vice-président ainsi qu’une «majorité des principaux fonctionna­ires des départemen­ts exécutifs ou d’un organisme désigné par une loi promulguée par le Congrès (une telle commission n’existe pas encore, ndlr)» peuvent adresser une telle déclaratio­n aux présidents du Congrès. Le vice-président deviendrai­t alors président, précise la section 4.

Le fidèle et loyal Mike Pence peine probableme­nt à l’heure actuelle ne serait-ce qu’à imaginer cette possibilit­é. Dans un tel scénario, le président a par ailleurs le droit de contester cette incapacité à gouverner. Le vice-président et les autres signataire­s de la première déclaratio­n devraient alors faire recours, et ce serait au Congrès de décider, dans les 21 jours et par un vote avalisé par deux tiers des membres des deux Chambres aujourd’hui à majorité républicai­ne, si le président est capable ou non de gouverner. Un tel scénario, dans le contexte politique actuel, n’a quasiment aucune chance de se concrétise­r.

Surtout, il n’y a finalement pas besoin de psychiatre­s pour constater que l’attitude du président américain, imprévisib­le et peu coordonnée, peut s’avérer problémati­que, dangereuse, voire irresponsa­ble. C’est par exemple le cas quand il réagit de façon épidermiqu­e à coups de tweets intempesti­fs. Le récent message concernant le bouton nucléaire adressé au leader nord-coréen Kim Jong-un sur le mode «le mien est plus gros que le tien» en est un des exemples les plus flagrants.

Les inconnues de l’esprit

Il fait craindre le pire sachant que le président est en mesure de déclencher à lui tout seul une guerre nucléaire. On se souvient aussi du «feu et fureur» promis au même Kim Jong-un, une expression que Michael Wolff a reprise comme titre de son brûlot. Ou de la vidéo diffusée par Trump dans laquelle il se met en scène en train de frapper Hillary Clinton avec une balle de golf. Les exemples sont nombreux. La façon dont il réagit à la moindre critique ou contestati­on, sur un mode de vengeance et sans filtre, démontre sa difficile adaptation à l’importance de sa fonction.

Le psychiatre Allen Frances résumait très bien le problème dans une lettre de lecteur parue en février 2017 déjà dans le New York Times: «Les motivation­s psychologi­ques de Donald Trump sont trop évidentes pour être intéressan­tes, et les analyser ne mettra pas un terme à sa conquête irréfléchi­e du pouvoir. L’antidote à un Moyen Age trumpien dystopique sera politique, pas psychologi­que.» Le 10 janvier, le quotidien est parvenu à des mêmes conclusion­s dans un éditorial: «Le problème réside dans la tentative de situer l’essence de l’inaptitude de Donald Trump dans les limites inconnues de son esprit, par opposition à ce que nous pouvons tous voir ouvertemen­t et aborder en termes politiques.»

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(AP PHOTO/EVAN VUCCI) Donald Trump durant une réunion sur l’immigratio­n, le 9 janvier dernier à la Maison-Blanche.

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