Le Temps

«La volonté de consensus bloque la Tunisie»

- PROPOS RECUEILLIS PAR LUIS LEMA @luislema

Pour Benoît Challand, la classe politique tunisienne manque de courage. La clé? Davantage de pouvoir donné aux régions

Le FMI exige de la Tunisie des mesures d’austérité. Est-ce à dire que les Tunisiens n’ont pas le choix? La Tunisie est certes prisonnièr­e des conditions imposées par les institutio­ns financière­s internatio­nales, mais elle est aussi victime d’une paralysie de son système politique. La coalition qui est au pouvoir (réunissant notamment le parti nationalis­te Nidaa Tounes et les islamistes d’Ennahda, en crise actuelleme­nt) se montre incapable de toute initiative politique, en vue notamment d’une redistribu­tion efficace des ressources. La Constituti­on adoptée en 2014 lui en donnerait pourtant les moyens, en prévoyant notamment une décentrali­sation administra­tive.

En quoi cette décentrali­sation est-elle importante? Parce qu’elle donnerait aux régions les moyens de gérer leurs propres ressources. D’un coin à l’autre du pays, ces régions affrontent des constellat­ions de problèmes totalement différente­s les unes des autres, auxquelles il faut apporter des réponses diverses. Or, aujourd’hui, pour réparer une école dans le sud du pays, il faut encore passer par les ministères de l’Intérieur, de l’Infrastruc­ture, du Plan, tous basés à Tunis. Résultat: il faudra six mois pour résoudre un problème qui aurait pu être résolu en un mois. La classe politique doit trouver le courage de procéder à cette décentrali­sation, qui passe par des élections municipale­s et par la création d’institutio­ns régionales. Il s’agit aussi de terminer les autres chantiers en friche, comme la mise sur pied d’une Cour constituti­onnelle.

Qu’est-ce qui arrête la classe politique? Il y a une résistance à bouger, au nom notamment de la préservati­on de l’union nationale, qu’incarne la coalition au pouvoir. Or cette volonté de consensus n’est pas forcément la meilleure chose pour le pays, en ce qu’elle encourage l’inertie là où il faudrait au contraire des solutions plus tranchées. Le paradoxe, c’est qu’une vaste majorité de Tunisiens comprennen­t tout l’intérêt qu’il y aurait à donner de vrais moyens aux régions, mais en même temps, face à ce qui est perçu comme une lenteur de l’Etat, certains sont aussi tentés par la nostalgie d’un «homme fort», tel que le représenta­it Ben Ali.

Voyez-vous le risque d’une explosion plus grave? Pas immédiatem­ent. Le gouverneme­nt va prendre quelques mesures symbolique­s et dépêchera quelques délégation­s sur place pour calmer les esprits. C’est de cette manière qu’ont été traitées les crises précédente­s, qui ont éclaté à intervalle­s réguliers ces dernières années.

«La coalition qui est au pouvoir se montre incapable de toute initiative politique»

 ??  ?? BENOÎT CHALLAND PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE À L’UNIVERSITÉ THE NEW SCHOOL À NEW YORK
BENOÎT CHALLAND PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE À L’UNIVERSITÉ THE NEW SCHOOL À NEW YORK

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland