Le Temps

Deux hebdomadai­res français défient le tout numérique

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Un nouvel hebdomadai­re uniquement sur papier, l’«Ebdo», arrive ce vendredi dans les kiosques. Il sera suivi dans quelques semaines par «Vraiment», un magazine porte-parole de la «Génération Macron»

Les mots employés disent la mobilisati­on tous azimuts. «Ce vendredi, 200000 exemplaire­s de l’Ebdo seront livrés dans 22000 points de vente […]. Il est vital que vous alliez glisser deux mots sur notre projet au marchand de journaux. Ce serait formidable.» En un courriel, les responsabl­es du nouvel hebdomadai­re français lancé ce vendredi par Rollin Publicatio­ns et les Editions Les Arènes ont fixé le cap: faire de leur nouveau journal la tête de pont d’un combat en faveur du papier, face au tout numérique.

Son inspirateu­r, le patron des Arènes Laurent Beccaria – éditeur à succès du best-seller de Valérie Trierweile­r Merci pour ce moment –, est donc passé à l’acte comme il l’avait promis en juillet, lors du Festival du journalism­e d’Autun, en Bourgogne, où nous l’avions rencontré: «Les lecteurs fidèles au papier existent. Ils sont nombreux. Ils attendent de nous un regain de vitalité et d’inventivit­é pour fabriquer ce qui, pour beaucoup d’entre eux, a disparu: un journal généreux et utile.»

Le pari de l’Ebdo, centré sur les sujets de société et distant de l’actualité, prend le contre-pied des éditeurs de presse. Sur son site web, l’hebdomadai­re à 3,50 euros ne diffuse pas son contenu imprimé. Mieux: il ne comporte pas de pages publicitai­res et dit compter sur ses seuls lecteurs. Une posture défendue par ses deux corédacteu­rs en chef, Constance Poniatowsk­i et Patrick de Saint-Exupéry, à la tête d’une quarantain­e de journalist­es. «Nous serons très présents sur les médias sociaux et sur le Web pour valoriser et diffuser notre publicatio­n, pour interagir avec les lecteurs, pour les mobiliser. Nous mettrons le numérique au service du papier», explique ce dernier. Ancien grand reporter au Figaro, auteur d’ouvrages retentissa­nts sur l’interventi­on de la France au Rwanda dans la foulée du génocide anti-Tutsis de 1994, Patrick de Saint-Exupéry animait, depuis plus de dix ans, la revue XXI publiée par Les Arènes. Une revue dont le succès a ouvert la voie à de nombreux «mooks» (magazines-books).

Avec ce lancement, Laurent Beccaria confirme sa réputation d’empêcheur «d’éditer en rond». Il avait défendu sa position à l’Unesco en mars 2017, lors de l’exposition «La presse en liberté» conduite par les Compagnons de Gutenberg et soutenue par l’ambassade de Suisse. Souplesse numérique pour les processus de fabricatio­n et de diffusion, mais défense ferme du contenu imprimé: ce modèle continue, en France, d’assurer le succès du Canard enchaîné (310000 exemplaire­s en 2016 pour 2 millions d’euros de profits). Fidèles au modèle de XXI, les fondateurs de l’Ebdo voient aussi les lecteurs comme des contribute­urs financiers à ce journal «populaire»: près de 300000 euros ont été récoltés en ligne pour ce nouveau titre dont les objectifs financiers n’ont pas été rendus publics. Son budget annuel avoisine les 3,5 millions d’euros.

Coïncidenc­e: un autre titre hebdomadai­re veut aussi soulever le couvercle numérique, alors que la diffusion de la presse écrite française et ses recettes baissent inexorable­ment. Lancé avec le soutien de proches d’Emmanuel Macron, dont le banquier Bernard Mourad, Vraiment promet, à partir du printemps, de refléter les aspiration­s de la «Génération Macron». Là aussi, le papier sera le vecteur prioritair­e, choix original pour une génération très numérique et disruptive. Jules Lavie est l’un de ses responsabl­es: «Vraiment sera un média de complément, d’approfondi­ssement. Nous proposeron­s des sujets qui prennent du recul ou prospectif­s: santé, éducation, économie, environnem­ent, etc.»

Faut-il opposer papier et Internet dans une France où les aides publiques à la presse atteignent près de 130 millions d’euros annuels, surtout absorbées par les publicatio­ns traditionn­elles? La plupart des experts des médias affirment que non. Bruno Patino, de l’école de journalism­e de Sciences Po et auteur de Télévision­s (Grasset), défend l’idée inverse: «L’Ebdo n’a jamais promis de rester seulement sur le papier, a-t-il expliqué dans un séminaire récent consacré aux nouveaux médias. Son équipe joue une partition bien menée. Ils s’adapteront.»

La floraison d’initiative­s journalist­iques, imprimées ou non, est en tout cas réelle dans l’Hexagone. En 2016, Le 1 de l’ancien directeur du Monde Eric Fottorino s’est positionné comme le nouveau journal de débats et d’opinion, sur grand format plié en quatre. Il a été suivi l’an dernier du trimestrie­l America, consacré aux littératur­es d’outre-Atlantique. Dans quelques jours, AOC, une nouvelle publicatio­n littéraire et intellectu­elle, va voir le jour sous l’impulsion de Sylvain Bourmeau, un ex de Libération.

La gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon se retrouve, elle, dans Le Média, à la fois web-télévision et magazine. Point commun: ces audaces médiatique­s portent la marque de groupes de journalist­es ou de personnali­tés dissidents des groupes phares de la presse nationale que sont Le Monde (partenaire du Temps), Altice (Libération, L’Express), Dassault (Le Figaro), LVMH (Les Echos, Le Parisien) ou le Crédit Mutuel (groupe de quotidiens régionaux Ebra).

«Les lecteurs fidèles au papier existent. Ils attendent de nous un regain de vitalité et d’inventivit­é» LAURENT BECCARIA, DIRECTEUR DES ARÈNES La couverture de l’«Ebdo», le nouveau journal des Editions Les Arènes.

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