Le Temps

Les Balkans occidentau­x remontent dans l’agenda

- ALEXANDRE LÉVY, SOFIA @AlevyLevy

La Bulgarie, qui a pris au début de l’année la présidence tournante de l’UE, a fait de l’intégratio­n européenne de ses voisins balkanique­s sa priorité

S’exprimant en novembre 2017 devant des étudiants de l’Université d’économie nationale et internatio­nale, pépinière des futurs fonctionna­ires et diplomates bulgares, le premier ministre Boïko Borissov a formulé une idée pour le moins iconoclast­e: et si les Balkans pouvaient, en quelque sorte, boucher le trou laissé dans l’Union européenne par la sortie de la Grande-Bretagne? Le chef du gouverneme­nt bulgare a décrit en termes lyriques ce que cette région pouvait apporter à l’Europe: «Une nature exceptionn­elle, de la mer Noire à la Méditerran­ée, et des peuples merveilleu­x et travailleu­rs!»

Cette déclaratio­n n’était pas une phrase en l’air: la Bulgarie, qui assure depuis janvier la présidence tournante de l’UE, a fait de l’intégratio­n des Balkans occidentau­x sa «priorité» pour les six prochains mois. Et les officiels bulgares espèrent déjà que le forum annoncé pour le 17 mai prochain, réunissant les chefs d’Etat balkanique­s à Sofia, deviendra une date charnière pour l’avenir européen de la région.

Les laissés-pour-compte

Le défi est de taille. Le dernier sommet de ce genre a eu lieu il y a quinze ans, à Thessaloni­que. Le terme même de «Balkans occidentau­x» est une invention des diplomates, sorte d’euphémisme géopolitiq­ue visant à atténuer l’impact dévastateu­r du vocable «ex-Yougoslavi­e», synonyme de guerre, de conflits gelés, de trafics en tout genre et de criminels de guerre en cavale. Après l’adhésion de la Croatie en 2013 (la Slovénie est membre de l’UE depuis 2004), les Balkans occidentau­x incluent de fait les laissés-pour-compte des élargissem­ents successifs de l’Union: la Serbie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovin­e, la Macédoine, le Kosovo et l’Albanie.

A l’exception des deux premiers pays, le processus d’adhésion est au point mort. Et dans la tête de tous résonne la phrase de JeanClaude Juncker qui, lors de son premier discours de président de la Commission européenne en 2014, a plaidé pour une «pause dans le processus d’élargissem­ent». Au regard de cette réalité, le seul fait d’avoir réussi à inscrire la question des Balkans occidentau­x dans l’agenda est un «succès non négligeabl­e» pour les Bulgares, estime Vessela Tcherneva, directrice du bureau de Sofia du Conseil européen de politique étrangère (ECFR).

D’autres, à Sofia, sont beaucoup plus sceptiques. La diplomatie bulgare a-t-elle les moyens de mener à bien ce processus, sur lequel les grandes puissances se sont tant de fois cassé les dents? De profondes fractures minent toujours la région, à commencer par le statut du Kosovo, non reconnu par la Serbie et une partie de la communauté internatio­nale. A cela s’ajoute la crise institutio­nnelle permanente en Bosnie-Herzégovin­e, la querelle sur le nom de la Macédoine entre Skopje et Athènes et la crise économique qui, elle, touche tout le monde…

N’empêche. Enhardi par un accord de bon voisinage conclu l’été dernier avec le nouveau gouverneme­nt de Skopje, Boïko Borissov se rêve désormais en conciliate­ur. Il a multiplié les rencontres avec ses voisins, plaidé pour «plus d’investisse­ments et moins d’histoire», imaginé des formats régionaux, comme le «quatuor balkanique» (Grèce, Serbie, Bulgarie, Roumanie) et promis des projets en commun dans le domaine de l’énergie et des télécommun­ications.

Un geste controvers­é

La presse populaire de Sofia le décrit désormais comme un «leader régional», garant de la paix et de la sécurité. Ses détracteur­s, eux, soulignent que s’engager en faveur du sort ingrat de ses voisins balkanique­s est aussi un excellent moyen de détourner l’attention des errements de la Bulgarie qui, dix ans après son adhésion, apparaît toujours comme le pays le plus pauvre et le plus corrompu de l’UE. A cela s’ajoute un bilan désastreux en termes de lutte contre la criminalit­é organisée, de liberté de la presse et d’indépendan­ce de la justice. Difficile dans ces conditions d’être érigé en «exemple à suivre» pour ses voisins, rappelle Dimitar Bechev de l’Atlantic Council.

Mais, par calcul ou commodité, Bruxelles semble bien vouloir fermer les yeux cette fois-ci sur les turpitudes bulgares. «Avec Boïko Borissov, nous sommes entre de bonnes mains», a déclaré JeanClaude Juncker lors de son arrivée à Sofia pour l’inaugurati­on officielle de la présidence bulgare le 11 janvier 2018.

PREMIER MINISTRE BULGARE «Une nature exceptionn­elle […], des peuples merveilleu­x et travailleu­rs!»

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BOÏKO BORISSOV

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