Le Temps

Quinze années de plus pour la vache à lait fédérale

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Le 4 mars, le peuple se prononce sur la reconducti­on jusqu’en 2035 de l’impôt fédéral direct et de la TVA, qui rapportent 43,5 milliards par an. Pour des raisons historique­s et politiques, ces deux impôts sont en effet limités dans le temps

«No Billag» par-ci, «No Billag» par-là. A parcourir les journaux, à écouter la radio ou à regarder la télévision, on peut avoir le sentiment qu’on ne vote que sur le sort de la redevance le 4 mars. Certes, l’enjeu est important: la taxe de perception radio-TV rapporte 1,37 milliard par an. Mais on se prononce aussi ce jour-là sur un autre objet dont l’enveloppe financière est sensibleme­nt plus grande: 43,5 milliards de francs!

Il s’agit de la reconducti­on du régime financier de la Confédérat­ion. Pourquoi doit-on voter sur cela? Parce que le parlement n’a jamais voulu ancrer définitive­ment dans la Constituti­on les deux principale­s ressources fiscales nationales, l’impôt fédéral direct (IFD) et la TVA. Par un vieux réflexe de méfiance envers l’Etat, leur durée de validité se prolonge par périodes. «Le parlement est d’avis qu’il est bon que la population s’exprime cycliqueme­nt sur la structure de ses impôts. Certains voulaient même limiter l’IFD et la TVA à dix ans pour éviter que l’Etat soit tenté de créer de nouvelles tâches», résume Adrian Hug, directeur de l’Administra­tion fédérale des contributi­ons (AFC).

Un citoyen sur quatre et Zoug

Le dernier scrutin remonte à novembre 2004. Le oui l’a emporté à 73,8%. Alors qu’aucun parti politique ne contestait la nécessité de maintenir ces deux impôts, un citoyen sur quatre a tout de même glissé un non dans les urnes. Et le canton de Zoug a refusé l’arrêté fédéral, par 51,4% des voix. Ce résultat montre qu’il reste un socle d’électeurs hostiles à ces instrument­s fiscaux. La décision de 2004 permet de prélever l’IFD et la TVA jusqu’à fin 2020. Pour continuer de les encaisser, le Conseil fédéral a été obligé de présenter un nouvel article constituti­onnel valable à partir du 1er janvier 2021. C’est à son sujet que le peuple et les cantons se prononcent le 4 mars.

Le gouverneme­nt a tenté d’asseoir définitive­ment ses deux principaux piliers financiers dans la Constituti­on. Mais la procédure de consultati­on l’a convaincu de faire marche arrière. Seuls le PS et les Verts étaient d’accord, tous les autres partis restant attachés à une limitation temporelle, en l’occurrence jusqu’à fin 2035. Lors des débats parlementa­ires, la gauche a une nouvelle fois tenté de faire sauter cette restrictio­n, mais elle n’a pas eu gain de cause. A l’opposé du spectre politique, Céline Amaudruz (UDC/GE) a demandé que la durée de perception soit de dix ans au lieu de quinze, c’est-à-dire jusqu’à fin 2030. Elle n’a pas eu davantage de succès. Le régime financier 2021 a finalement été adopté à l’unanimité des deux Chambres.

Si, contrairem­ent aux autres impôts fédéraux, l’IFD et la TVA sont limités dans le temps, c’est lié à leur histoire. L’IFD est la seule ponction fédérale sur le revenu. Son origine remonte à la Première Guerre mondiale. Le 6 juin 1915, pour compenser la baisse des recettes douanières, le peuple et les cantons acceptent d’introduire pendant deux ans un impôt de guerre non renouvelab­le sur la fortune et le revenu des personnes physiques, ainsi que sur le capital des personnes morales. C’est une entorse à un principe de la Constituti­on fédérale de 1848, qui réservait aux cantons le droit de collecter les impôts directs, la Confédérat­ion devant se concentrer sur la fiscalité indirecte.

«Là, on est sûr qu’il n’y a pas de plan B»

En 1940, disposant alors des pleins pouvoirs, le Conseil fédéral décide de recourir à nouveau à un prélèvemen­t spécial pour faire face à la guerre. Il crée l’impôt pour la défense nationale (IDN) et l’assortit l’année suivante de l’impôt sur le chiffre d’affaires (ICHA). Celui-ci frappe le dernier maillon de la chaîne de vente de marchandis­es. Provisoire­s, les deux instrument­s doivent en principe être supprimés à la fin de la guerre. Mais la réalité est différente: ils ne sont pas abrogés une fois les armes allemandes déposées. Ils sont d’abord prorogés jusqu’en 1949, jusqu’en 1951, 1954, puis 1958. Cette année-là, une modificati­on de la Constituti­on autorise formelleme­nt la Confédérat­ion à prélever un impôt sur le revenu. En 1982, l’IDN change de nom et devient l’IFD. En 1995, dans un contexte tendu et après trois échecs dans les urnes, la TVA remplace enfin l’ICHA. Mais la clause qui impose une limite temporelle, elle, survit.

La Confédérat­ion ne peut pas se passer de cette vache à lait, dont les deux pis font s’écouler 43,5 milliards par an dans la boille fédérale. Cela représente près de 70% de ses recettes fiscales. «Là au moins, on est sûr qu’il n’y a pas de plan B. Sans ces deux impôts, la Confédérat­ion ne peut pas se financer. Un refus serait un crash national», résume le ministre des Finances, Ueli Maurer.

L’IFD est la seule ponction fédérale sur le revenu

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