Le Temps

Suisse-UE: une relation de nature psychiatri­que, vraiment?

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON

Samedi dernier se tenaient les Entretiens de Verbier, colloque qui s’interrogea­it ainsi: «Au-delà de la cacophonie du Brexit, la carte politique de l’Europe s’est sensibleme­nt modifiée en 2017. L’UE, portée par une économie robuste, a pris un nouvel élan politique. En pratique, que signifient ces changement­s majeurs pour l’avenir de la relation Suisse-UE?» Le ton était donné, qui postulait à la fois que le Brexit relève d’un désordre regrettabl­e, que la reprise économique de l’UE est durable et que son élan politique est patent, toutes choses discutable­s. La palette des intervenan­ts était évidemment en phase avec ces prémisses et l’un d’entre eux, Frans Van Daele, ancien chef de cabinet d’Herman Van Rompuy et de Sa Majesté le roi Philippe de Belgique, a tenu un propos sur lequel il est important de revenir au risque que, sans démenti, il soit considéré comme avéré.

«Les Suisses ont une relation de nature psychiatri­que avec l’Europe. D’abord, ils sont persuadés que Bruxelles veut absolument les dominer, ce qui n’est pas le cas. Ils pensent ensuite que si l’UE y gagne dans un accord, eux y perdent. C’est encore faux. Enfin, ils veulent absolument rester souverains, ne comprenant pas que pour un Etat qui devient membre de l’UE, la souveraine­té formelle se transforme en influence réelle.»

En employant le qualificat­if «psychiatri­que», le baron Van Daele induit que le rapport des Suisses à l’UE relève de la pathologie et non de la raison, ce qu’il conviendra­it donc de soigner. Faut-il le dire, ce propos d’un ex-haut fonctionna­ire de l’UE concernant les Suisses non enclins à rejoindre l’UE (plus de 80% quand même!) sont inadmissib­les et témoignent, une fois encore, du mépris avec lequel les détenteurs du «vrai» considèren­t leurs opposants: au mieux comme des imbéciles, au pire comme des malades.

Qu’en est-il des symptômes qui justifient le diagnostic de notre éminent ministre d’Etat? Les Suisses pensent-ils vraiment que Bruxelles veut «absolument» les dominer? Non, bien sûr, c’est là une interpréta­tion erronée. Leur refus d’entamer un processus de rapprochem­ent vient d’un tout autre sentiment: celui que l’accès au marché et les autres nécessités économique­s liées à nos échanges avec l’UE, tout importants soient-ils, sont moins vitaux que la préservati­on de nos spécificit­és politiques telles que la démocratie directe, l’esprit de consensus ou la neutralité. Certains de la sagesse de leurs institutio­ns et sceptiques sur l’organisati­on actuelle de l’Union, ils ne sont pas prêts à céder la proie pour l’ombre. A tort ou à raison, cela peut évidemment se discuter, mais sans y voir un quelconque signe d’aliénation.

Ils ne pensent pas non plus que si l’UE y gagne dans un accord, eux y perdent. Quand la Suisse a-t-elle manifesté cette attitude? Elle a voté à une confortabl­e majorité les différents accords bilatéraux en étant bien consciente qu’ils étaient favorables aux deux parties, de même qu’elle est entrée dans le système Schengen sans rechigner aux sacrifices que cela lui imposait. Ce propos bizarre ne repose donc sur rien sinon sur les difficulté­s d’aboutir à un accord institutio­nnel, ce qui tient à son processus d’arbitrage et à l’engagement qu’il suppose quant à l’évolution du droit européen, toutes questions utilement débattues actuelleme­nt.

Enfin, nous dit le psychiatre Van Daele, les Suisses veulent absolument rester souverains, ne comprenant pas que pour un Etat qui devient membre de l’UE, la souveraine­té formelle se transforme en influence réelle. Qu’ils veuillent rester souverains, c’est un fait mais, à l’inverse de ce qui leur est si adroitemen­t présenté, ils préfèrent une souveraine­té réelle à une influence formelle. Ils observent ce qui se passe actuelleme­nt: la Pologne mise à l’index, les Anglais conspués, la Hongrie marginalis­ée, les critères de convergenc­e respectés à la tête du client, le duo franco-allemand revendiqua­nt ouvertemen­t de diriger l’Union… Dès lors, l’influence, ça ne les convainc pas vraiment.

Pas si folle, la guêpe!

mh.miauton@bluewin.ch

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