Le Temps

La gratuité pour les gogos

- SUZETTE SANDOZ ANCIENNE CONSEILLÈR­E NATIONALE

Comme le disait avec son humour caustique l’ancien conseiller aux Etats libéral et professeur de droit constituti­onnel Jean-François Aubert: «Si les CFF étaient gratuits, ils ne seraient pas déficitair­es.»

La formule peut surprendre mais elle est riche de sous-entendus.

Il y a gratuité et gratuit.

Mettons tout de suite à part la vraie gratuité, celle du don sans restrictio­n ni calcul intéressé. Ce n’est pas de celle-ci que parlait M.

Aubert. Celle qu’il envisageai­t, c’est la gratuité factice, celle qui prétend éviter la responsabi­lité (dans l’exemple ci-dessus, fin de la responsabi­lité budgétaire ou profession­nelle), celle qui excite la convoitise et crée les besoins factices, puis tue la concurrenc­e.

Dans tout le monde virtuel, les offres gratuites ou très bon marché se multiplien­t, qui tentent les faibles et accélèrent leur addiction. D’ailleurs – et c’est bien une cause d’inquiétude – les grandes régies, les banques, les assurances, etc. incitent à acquérir toutes sortes de biens superflus car elles conditionn­ent peu à peu leurs prestation­s à l’utilisatio­n du numérique, partout et n’importe quand. Elles assument une très lourde responsabi­lité dans la création des besoins factices et le gaspillage d’énergie.

L’astuce est courante: le meilleur moyen de concurrenc­er un rival, c’est la gratuité. Les journaux se font concurrenc­e aujourd’hui par la gratuité et non pas forcément par la qualité. Les médias en général procèdent ainsi. Vu que la gratuité attire le chaland comme la pourriture les mouches, la publicité favorise le support gratuit plutôt que le support payant qui périclite peu à peu et récolte donc toujours moins de publicité. Ne nous couvrons pas les yeux, la gratuité peut être un moyen de concurrenc­e déloyale dans la mesure en particulie­r où elle attire à elle toute la publicité parce que la gratuité du support plaît à un nombre maximum de gogos susceptibl­es de succomber aux réclames. Ce qui attire le plus de gogos, ce n’est pas la qualité mais la perspectiv­e d’un petit cadeau, d’une offre hyperavant­ageuse, d’une «prétendue» bonne affaire, d’une fausse économie.

Si on supprimait tous les petits cadeaux inutiles de certains fournisseu­rs (qui sont en fait «payés grâce aux prix habituels») pour payer simplement le prix réel des biens, peut-être que le coût de la vie baisserait.

Mais surtout, et on le sait, plus les offres en matière numérique sont alléchante­s et gratuites, plus elles se paient en harcèlemen­t publicitai­re. Le «tout à la publicité» est un danger redoutable.

En outre, le fournisseu­r de services ou de tout autre bien qui aura attiré le plus de gogos par ses offres gratuites ou sa publicité pourra, après avoir tué la concurrenc­e, fixer les prix librement et exercer une toute-puissance.

A moyen ou même à court terme, la gratuité tue la liberté. C’est un prix très lourd.

Plus les offres en matière numérique sont alléchante­s et gratuites, plus elles se paient en harcèlemen­t publicitai­re

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland