Attente et désespoir dans la medtech
L’augmentation de la réglementation et la réduction du nombre d’organismes d’évaluation créent des goulets d’étranglement. Il devient de plus en plus difficile de mettre sur le marché de nouveaux produits de technique médicale
«Tout est prêt, mais nous attendons depuis plus d’une année la décision de certification de l’organisme d’évaluation, se désespère Cloé Houriet, directrice de la société Fabrinal à La Chauxde-Fonds. C’est frustrant d’avoir des dispositifs médicaux prêts à être commercialisés, d’avoir investi 120000 francs dans la production et de devoir laisser un produit attendre dans une armoire. Les organes d’évaluation, qui tiennent le couteau par le manche, ne nous informent pas et ne donnent aucun délai quant à leur décision.»
Fabrinal a développé une petite canule d’irrigation permettant de réduire la pression intra-oculaire en ophtalmologie. En attendant ce feu vert, l’entreprise continue de générer la majorité de son chiffre d’affaires grâce à son produit phare, un capteur électrique qui se met en place comme un verre de contact. Ce dispositif, à usage humain ou animal, détecte les signaux électriques émis par la rétine en réponse à une stimulation lumineuse et permet ainsi de cartographier le fond de l’oeil.
«Innovation suisse en péril»
La PME de cinq personnes en vend près de 40000 pièces chaque année à travers le monde. Mais Fabrinal aimerait commercialiser d’autres produits pour se diversifier. «Mon père, Charles Houriet, qui a créé l’entreprise en 2007, a développé d’autres appareils destinés à l’ophtalmologie. Mais face à la charge réglementaire et administrative qui a doublé depuis 2015, il devient de plus en plus difficile de mettre de nouveaux produits sur le marché. En 2017, j’ai eu droit à deux audits différents pour l’ISO 13485, sans compter la certification CE et l’audit de la FDA. Ces charges mettent en péril l’innovation suisse.»
Ce renforcement de la réglementation est en partie lié à l’affaire des implants mammaires défectueux de la société français Poly Implant Prothèse (PIP), dont le scandale a éclaté en 2010. Un plan d’action a alors été mis en place par la Commission européenne. «Le cadre s’est renforcé rapidement et de manière conséquente depuis 2015», constate Kim Rochat, cofondateur de la société lausannoise Medidee, spécialisée dans le soutien aux fabricants de dispositifs médicaux. En avril 2017, le Parlement européen s’est prononcé en faveur de deux nouvelles réglementations qui ont élevé la barre en matière d’exigences. «Celles-ci représentent une charge bien plus importante. Les grandes sociétés ont des équipes en place pour traiter ces sujets alors que les plus petites font souvent face à des difficultés pour gérer ces aspects. Les start-up, notamment, anticipent peu ou de manière insuffisante les enjeux liés à ces contraintes», note Kim Rochat.
Contrairement à ce qui se passe pour les médicaments, Swissmedic n’approuve pas les dispositifs médicaux avant leur mise en circulation. Cet institut se limite à la surveillance du marché. Le contrôle de sécurité et de performance des dispositifs médicaux, ou la certification complète du système de qualité du fabricant, est effectué par des organismes privés, appelés organes d’évaluation de la conformité (OEC). Ces organes, à l’exemple de la multinationale genevoise SGS ou de l’entreprise allemande TUV, doivent être accrédités, et sont en Suisse soumis à un contrôle permanent du Service suisse d’accréditation (SAS) ainsi que de Swissmedic. «On comptait 82 organismes en 2011. Il en subsiste une cinquantaine aujourd’hui car plusieurs d’entre eux ont perdu leur droit d’exercer dans le domaine des dispositifs médicaux, explique Kim Rochat. Ces organismes n’ont tout simplement plus assez de ressources pour traiter les dossiers dans un délai acceptable par l’industrie.»
Plus de réactivité aux Etats-Unis
L’augmentation des exigences, couplée à la réduction du nombre d’organismes d’évaluation, crée des goulets d’étranglement. «En Europe, les processus d’approbation sont très lents, plus qu’aux Etats-Unis. Or, dans les nouvelles technologies, notamment dans les applications dédiées à la santé, tout va très vite», constate Raoul Scherwitzl, un physicien issu du CERN, cofondateur de la société Natural Cycles qui a choisi d’installer son entreprise de 50 personnes en Suède. Celle-ci développe une application sur smartphone qui permet de déceler chez une femme ses jours de fertilité en fonction de sa température dans le but de remplacer la contraception hormonale.
«Le réglementaire a constamment un temps de retard. En outre, il devient difficile d’avoir des réponses claires et sûres des organismes notifiés, ce qui crée de l’incertitude. Certaines entreprises n’hésitent plus à considérer d’autres marchés pour commercialiser en premier leur produit, par exemple les Etats-Unis, où le marché est certes très réglementé mais avec moins d’incertitudes», constate Kim Rochat. Il souhaiterait que la Suisse mette en place un bureau de soutien à l’innovation au sein de Swissmedic. Celui-ci pourrait mieux informer et soutenir les entreprises quant à l’applicabilité et l’interprétation des exigences relatives à la mise sur le marché de leur produit.
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La société Fabrinal à La Chaux-de-Fonds commercialise des électrodes qui permettent de cartographier le fond de l’oeil. La PME aimerait mettre d’autres produits sur le marché mais tarde à obtenir les autorisations nécessaires.
«Les organes d’évaluation, qui tiennent le couteau par le manche, ne nous informent pas et ne donnent aucun délai quant à leur décision»
CLOÉ HOURIET, DIRECTRICE DE FABRINAL