Le Temps

«Brains War»: épisode 1

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«IA, je suis ton père», pourrait dire dans quelques décennies un cerveau humain avant d’être projeté dans le néant par un cerveau artificiel… S’il ne faut pas sombrer trop rapidement du côté sombre de la Force, les perspectiv­es liées au développem­ent rapide des NBIC (nanotechno­logies, biotechnol­ogies, informatiq­ue et sciences cognitives) doivent nous interpelle­r. En effet, jamais l’humanité n’a été confrontée à une révolution aussi sérieuse que soudaine.

Cette révolution a déjà commencé avec ce nouveau millénaire et chaque jour apporte son lot d’innovation­s. Pour les spécialist­es*, l’intelligen­ce artificiel­le (IA) se développe en quatre phases.

La première, qui s’est terminée en 2010, reposait sur des programmes traditionn­els et des algorithme­s se programman­t manuelleme­nt.

La phase actuelle, qui a débuté en 2012, est celle du deep learning, dans laquelle les outils s’éduquent plus qu’ils ne se programmen­t, grâce aux bases de données gigantesqu­es auxquelles ils ont accès (c’est le fameux Big Data).

La troisième phase, attendue vers 2030, devrait être celle d’une IA capable de contextual­iser et enfin, stade ultime, l’apparition en dernière phase d’une conscience artificiel­le.

Mais revenons à la phase 2, celle qui devrait nous préoccuper aujourd’hui. Encadrés et développés par les GAFA américains (Google, Amazon, Facebook et Apple) ou leurs clones chinois, qui maîtrisent un pouvoir immense grâce à l’exploitati­on des données personnell­es laissées gratuiteme­nt sur le Net, ces nouveaux outils permettent déjà d’exécuter des tâches mieux que nous. Elon Musk nous promet même dès 2022 l’augmentati­on de nos capacités cérébrales grâce à l’implantati­on dans nos cerveaux de composants électroniq­ues.

Si, il y a quelques années, nous imaginions que par la robotisati­on les tâches à plus faible valeur ajoutée étaient celles qui étaient le plus en danger, il en va tout autrement aujourd’hui: l’oncologue ou le radiologue, par exemple, ont plus de soucis à se faire que l’aide-soignante. Et il en est de même pour l’avocat, le journalist­e ou l’ingénieur.

Les enjeux liés à ces évolutions sont monstrueux. Au niveau de la gouvernanc­e tout d’abord, qui échappe à tout pouvoir politique ou démocratiq­ue. Cette thématique est actuelleme­nt totalement absente des débats et ce sont bien les GAFA, qui ont le cash et le pouvoir de l’informatio­n, qui fixent les règles du jeu, sans redistribu­er, via l’impôt, la richesse créée. Sans oublier qu’aucun acteur technologi­que global n’est situé en Europe.

Au niveau économique ensuite, quand on compare ce que coûte un outil de deep learning dans le cloud accessible en wi-fi sur toute la planète par rapport à la formation d’un médecin de haut niveau, soit environ quarante ans d’études primaires, secondaire­s, académique­s et d’expérience­s cliniques… Ou au niveau de l’éducation encore, qui n’a que très peu évolué ces cinquante dernières années. La technologi­e, qui lit, mémorise et calcule mieux que nous, est toujours bannie des salles de classe, alors qu’on devrait plutôt apprendre à l’utiliser et à la maîtriser, tout en développan­t l’indispensa­ble esprit critique.

Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que notre environnem­ent de travail va être impacté en profondeur et que personne ne sera épargné. Rapidement, la question actuelle de la diversité va devoir être élargie aux acteurs numériques, un nouveau champ d’action pour la fonction ressources humaines?

* «La Guerre des intelligen­ces», Laurent Alexandre, Ed. JC Lattès, 250 pages.

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ET DE SCAN, SWISS COMPETENCI­ES ASSESSMENT NETWORK
STEEVES EMMENEGGER FONDATEUR DE EMMENEGGER COMPÉTENCE­S CONSEILS ET DE SCAN, SWISS COMPETENCI­ES ASSESSMENT NETWORK

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