Le Temps

Armstrong était-il le pionnier du dopage technologi­que?

- CLÉMENT GUILLOU (LE MONDE)

Un livre explore l’idée selon laquelle le cycliste texan aurait utilisé un moteur caché dans son vélo. En France, une enquête est ouverte pour des faits plus récents

Miniaturis­és et isolés, les moteurs cachés dans les vélos de course des tricheurs sont devenus quasi silencieux. Mais pas au point de faire taire la rumeur de l’utilisatio­n de ces dispositif­s de fraude technologi­que dans le peloton profession­nel, relancée en cette intersaiso­n cycliste par la publicatio­n d’un livre et par une enquête judiciaire.

Cette dernière, révélée par Le Canard enchaîné, est menée, au moins depuis l’été 2017, par des enquêteurs spécialisé­s dans les infraction­s financière­s, sous la direction du parquet national financier. Faute d’inscriptio­n d’un délit spécifique dans la loi française pour la fraude technologi­que, qui n’est pas associée au dopage, les gendarmes vont devoir prouver qu’il y a eu, de la part des coureurs profession­nels ciblés, escroqueri­e ou tentative d’escroqueri­e. Ces faits sont passibles de cinq ans d’emprisonne­ment et 375000 euros (440000 francs) d’amende.

Selon Le Canard enchaîné, les enquêteurs s’interrogen­t aussi sur le rôle qu’auraient joué «les hautes instances du cyclisme», à savoir l’Union cycliste internatio­nale (UCI), dans cette escroqueri­e. Elu à la présidence de la fédération internatio­nale en septembre 2017, le Français David Lappartien­t a immédiatem­ent remplacé le responsabl­e de la lutte contre la fraude technologi­que, l’Anglais Mark Barfield, par l’ancien profession­nel français Jean-Christophe Péraud, depuis très proactif. Interrogé par Le Monde début décembre, le président de l’UCI affirmait déjà que la méthode de détection par résonance magnétique serait complétée par le passage des vélos aux rayons X et le démontage physique de certaines machines.

De la taille d’une clé USB

Cette agitation doit beaucoup à l’activisme d’un homme, qui se présente comme l’inventeur des moteurs cachés dans les vélos: le Hongrois Istvan Varjas. Il est au coeur d’un livre paru mercredi et intitulé Rouler plus vite que la mort, aux Editions Grasset, dans lequel il dit explicitem­ent ce qu’il laissait entendre il y a un an au Monde, qui l’avait rencontré en Hongrie: Lance Armstrong pourrait bien avoir été, à l’insu de l’inventeur, le premier utilisateu­r d’un vélo à moteur.

L’auteur, le journalist­e de L’Equipe Philippe Brunel, court après les moteurs cachés depuis 2010. «Cette histoire m’est tombée dessus, je ne l’ai pas cherchée», s’amuse la plume de la rubrique cyclisme du quotidien sportif, qui se dit observateu­r romantique plutôt qu’enquêteur. Le voilà toutefois explorant la conjecture la plus folle dans l’histoire d’un sport qui s’est pourtant habitué au paranormal.La thèse: en septembre 1998, Varjas, décrit comme aussi génial pour ses inventions que robuste sur un vélo, met au point, après des années de développem­ent, un moteur discret, de la taille d’une clé USB, capable de fournir 140 watts pendant cinq minutes. Suffisant pour produire, en montagne, l’effort qui vous offre un Tour de France. Ou sept, pour peu que son propriétai­re soit déjà doté de l’arsenal chimique en vogue à l’époque – EPO notamment – comme c’était le cas de Lance Armstrong, depuis privé de ses victoires.

A la fin de l’année 1998, poursuit Varjas, un ami le persuade de céder l’exclusivit­é de son invention à quelqu’un qu’il ne connaît pas, pour une somme de 300000 dollars versée en liquide. Deux ans plus tard, il s’en verra verser 2 millions supplément­aires en quatre fois, sur un compte offshore. L’ami, Paride Cordoni, grenouille dans le milieu du cyclisme de Toscane, petites affaires, petites équipes. Il est mort depuis. Il détenait peut-être, estime Philippe Brunel, la vérité de cette histoire.

«Rien qui épuise le mystère»

En l’absence de preuves, le journalist­e se contente de juxtaposer les vies de Varjas et d’Armstrong. Avec le Hongrois, il relève les troublante­s concordanc­es de dates, la façon métronomiq­ue de grimper de l’Américain, sans effort apparent ni rupture de rythme, s’étonne de la géométrie d’un cadre Trek utilisé par Armstrong, propice à y dissimuler un moteur.

Mais Philippe Brunel, comme avant lui les journalist­es de la chaîne américaine CBS, est contraint de s’en tenir là. «Je n’ai recueilli qu’un faisceau de faits convergent­s. Rien qui épuise le mystère», admet le journalist­e. Les propos comme les compétence­s de l’ingénieur sont soumis à caution, comme nous l’avions remarqué durant notre enquête en 2016, durant laquelle plusieurs interlocut­eurs de Istvan Varjas avaient mis en doute son honnêteté.

Les policiers du FBI, qui l’ont longuement interrogé dans le cadre d’une enquête ouverte aux Etats-Unis, sauront-ils y voir plus clair? Et trouver un témoin qui, dix-huit ans après l’escroqueri­e présumée, incrimine Lance Armstrong? Le Texan, qui n’a pas été tenu au courant du livre par l’auteur, n’a pas menacé Grasset comme il avait menacé CBS, qui avait édulcoré son enquête en conséquenc­e. Contacté, il s’est contenté de répondre par une pirouette: «J’ai regardé mon calendrier, et nous ne sommes pas le 1er avril!»

La façon métronomiq­ue de grimper de l’Américain, sans effort apparent ni rupture de rythme, étonne

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