Le Temps

Au Zum See, un repas divin au pied du Cervin

Depuis trente-trois ans, la famille Mennig tient le restaurant le plus mythique de Zermatt. Rencontre avec Markus, le fils, et sa femme, Marion, qui en reprennent les fourneaux

- PAR ÉDOUARD AMOIEL t @EAmoiel

Sur les monts enneigés surplomban­t le village de Zermatt, dans la vallée de Saint-Nicolas, la famille Mennig règne en maître depuis 1984 sur leur restaurant Zum See. Niché au milieu d’un petit hameau de chalets de bois de mélèze brûlé par le soleil et patiné par les siècles. Max et Greti Mennig, couple indissocia­ble, connu et reconnu de tous, s’apprête à gentiment passer le flambeau après plus de trente ans de bons et loyaux services. C’est maintenant au tour de leurs fils Markus et de son épouse Marion de reprendre les rênes de cette institutio­n qui fait courir le Tout-Zermatt à l’heure du déjeuner.

Comme dans certaines histoires, Max et Greti Mennig se rencontren­t pour la première fois sur un bateau. Le couple change rapidement de sillage. En 1976, les voici qui débarquent comme saisonnier­s dans la célèbre station valaisanne. Lui est boucher et cuisinier, elle, domine le service de salle. «Mon père n’a jamais eu l’intention de créer un restaurant d’altitude comme les autres, raconte Markus Mennig. Il ne voulait ni faire une cuisine gastronomi­que ni vendre des chips et des saucisses. Il voulait juste être différent.»

CHEF VISIONNAIR­E

A l’époque, le niveau culinaire de haute montagne culmine dans la médiocrité. Visionnair­e et avant-gardiste, Max Mennig choisit de mettre l’accent sur la qualité des produits qu’il va apprêter. Le cuisinier prépare quotidienn­ement des pâtes fraîches maison et fait évoluer son restaurant au gré des désirs de ses clients. Au fil du temps, Zermatt acquiert la solide réputation d’une station où l’on mange bien. «Le poisson frais est arrivé en même temps que les grands flacons de vin italien», reprend Markus Mennig qui passera toute son enfance en montagne.

Son père, homme strict et exigeant, le responsabi­lise très tôt aux diverses tâches de l’établissem­ent. Malgré une ambiance familiale dictée par l’intensité des rythmes effrénés des saisons, le jeune garçon va vivre au coeur de la nature. «Une fois le travail du restaurant terminé, mes soeurs et moi passions tout notre temps dehors. C’était merveilleu­x.» Après avoir décroché sa maturité fédérale à Brig, Markus embraie sur l’Ecole hôtelière de Lausanne. Le choix d’une voie aussi pratique qu’académique a-t-il été motivé par une éventuelle reprise du Zum See? «On y pense forcément mais je ne voulais pas, à mon âge, avoir des obligation­s. Cela dit, il ne faut pas se mentir, j’ai choisi ce métier grâce, ou à cause de ce restaurant», admet Markus, chez qui les quatre ans d’études dans le canton de Vaud vont changer le cours de sa vie. C’est là, sur les bancs de la prestigieu­se école du Chalet-à-Gobet, que le jeune chef rencontre Marion, il y a maintenant dix-huit ans.

DE NEW YORK À ZERMATT

Les meilleurs amis du monde s’envoient d’abord des fax entre l’Afrique du Sud et New York où ils suivent leurs stages respectifs. «Je me suis intéressé à Markus lorsqu’il a créé mon adresse e-mail», plaisante la Bâloise. La petite affaire de messagerie va évoluer en grande histoire d’amour. Diplôme en poche, le jeune couple tente alors l’aventure américaine. Direction New York où sans le savoir, Markus et Marion vont raffermir leurs bases hôtelières. «Je n’aurais jamais pu m’enfermer à Zermatt avant de m’ouvrir à New York», explique Marion. Trois ans passent à Manhattan. Max Mennig demande alors à son fils de venir faire une saison à Zermatt. «Une année plus tôt, je ne serais jamais partie. Le timing était parfait.» Et voilà Markus et Marion qui prennent de la hauteur. Bye-bye les gratte-ciel. Bonjour le Cervin.

Du côté de Markus, la transition s’effectue plutôt en douceur. «Même si la situation est incomparab­le, Zermatt l’hiver est comme une ville. Une fois par an, le monde entier vient chez nous.» Pour Marion, en revanche, le changement est vécu de manière un peu plus brutale. «J’étais encore sous l’influence du monde culinaire new-yorkais. Je souhaitais faire évoluer la carte et la changer chaque année au rythme des saisons», raconte-t-elle. Mais Markus refuse. Le chef part du principe que les mets doivent rester identiques. Dans ce genre d’institutio­n, en changer, c’est prendre le risque de froisser la clientèle. «Encore maintenant, nous ne pouvons pas nous permettre de retirer un seul plat. Si tel devait être le cas, je ne saurais même pas lequel.» Marion a aussi dû adopter la façon de travailler des Mennig. «J’ai d’abord dû me faire accepter par mon beau-père. En tant qu’épouse, je me suis permis de lever de temps en temps la voix. Il fallait que l’on m’entende chez les Mennig.» Markus adhère mais temporise: «De toute façon, la saison dure seulement quatre mois, ce qui nous permet de prendre de la distance les deux mois suivants.»

STRUDEL LÉGENDAIRE

En pleine saison d’hiver, pour le déjeuner, le restaurant assure un service qui dépasse les 200 couverts préparés dans une cuisine de seulement douze mètres carrés. La clientèle se presse pour déguster un foie de veau aux herbes et oignons, des ris de veau aux morilles, des tagliatell­es sauce bolognaise également de veau, des tortellini­s aux épinards et ricotta, des nouilles au curry. Comme dessert, l’incontourn­able millefeuil­le ou le non moins légendaire strudel aux pommes. «Nos clients sont très fidèles d’année en année, observe Markus. Finalement, nous nous accompagno­ns mutuelleme­nt sur le cours de la vie.»

Le Zum See, c’est une passion de couple, la fierté d’une famille, d’une station, pour un restaurant unique en son genre. «Etre patron est finalement un travail solitaire. Moi, je préfère fonctionne­r en équipe. J’adore travailler avec Marion. Elle me rassure et m’apaise énormément.» Cette dernière confirme: «On ne change pas une équipe qui gagne.» «Pour l’instant, je ne souhaite rien changer», abonde Markus. Marion intervient avec une pointe d’humour et le regard complice: «Ah si quand même une chose: nous avons changé les coussins!»

«Mon père ne voulait ni faire une cuisine gastronomi­que ni vendre des chips et des saucisses» MARKUS MENNIG, CHEF DU ZUM SEE

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(HO) (CRÉDIT) Ci-dessus: Le Zum See dans son décor pittoresqu­e.
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(DR) Ci-contre: Marion et Markus Mennig, unis dans la passion pour leur restaurant d’altitude.

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