Le Temps

Eloge de l’ouverture

- STÉPHANE BENOIT-GODET RÉDACTEUR EN CHEF

Nous avons tous l’habitude de discuter de manière passionnée à la machine à café. Nous nous retrouvons entre collègues et les échanges fusent. Il y a les sujets personnels, qui fournissen­t une bonne matière à commentair­es, mais les meilleurs débats naissent souvent d’un tout autre matériau de base.

Que pense-t-on des vieilles féministes qui partent en guerre contre les jeunes femmes dont la parole se libère après l’affaire Weinstein? Que décider lors du prochain week-end de votations? Federer va-t-il terminer sa carrière cette année?

Cette conversati­on atteint un niveau de densité extrême sur les réseaux sociaux. A tel point que médias, et entreprise­s en général, s’entourent de nouveaux spécialist­es pour éviter les débordemen­ts. Ces experts en dialectiqu­e numérique gèrent des communauté­s dont il faut stimuler, modérer ou réfréner les élans.

Quand certains n’hésitent pas à pratiquer l’invective, voire l’insulte et les menaces, le community manager doit ramener du sens dans les échanges. Certains grands journaux comme le New York Times vont même plus loin: ce dernier a délégué un journalist­e pour être à l’écoute et relayer les prises de parole des lecteurs.

Au Temps, du mardi au vendredi, nous avons une page 2 qui rend compte de la conversati­on sur les réseaux sociaux. Nous racontons ces discussion­s – désormais sans fin et sans frontières – capables de surfer sur tous les sujets d’actualité. Elles ont ceci de remarquabl­e qu’elles délimitent des communauté­s, affinent les opinions, donnent à réfléchir et produisent de l’engagement.

Cette semaine, Facebook a annoncé que le fil de ses utilisateu­rs serait largement expurgé des nouvelles transmises par les organes de presse, celles-là même qui génèrent pourtant la conversati­on globale. Le premier réseau social au monde avait déjà eu de telles velléités en 2016 afin de coller mieux aux intérêts de sa communauté, dont les plus jeunes membres lorgnaient du côté de Snapchat.

L’ironie de l’histoire tient au fait que Mark Zuckerberg a pris la résolution pour 2018 de «réparer» les mauvais travers de son entreprise. Ces 18 derniers mois, Facebook a montré son incapacité à gérer le phénomène des fausses nouvelles et, aujourd’hui, il choisit de manière abrupte de couper le flux.

C’est davantage un aveu de faiblesse que l’aboutissem­ent d’une vraie stratégie. La preuve, les investisse­urs estiment que le réseau social aurait désormais plus de mal à garder les internaute­s en ligne. L’action du géant a reculé en bourse car tout le monde aime commenter l’actualité, même Wall Street a compris cela. Les médias dont l’audience en ligne dépend massivemen­t de Facebook ont certes du souci à se faire. Mais, pour la plupart d’entre eux, il suffira de poursuivre le fil de la conversati­on pour s’assurer la fidélité de leurs lecteurs.

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