En Allemagne, les contours de la Grande Coalition se dessinent
Angela Merkel et les sociaux-démocrates sont parvenus vendredi matin à un accord préliminaire en vue de former le prochain gouvernement. La politique allemande ne devrait pas changer de cap. Sauf sur l'Europe
Vendredi, peu avant 9h s’élevait enfin un nuage de fumée blanche au-dessus du siège du Parti social-démocrate (SPD), où les 39 négociateurs, issus des rangs des chrétiens-démocrates (CDU), des Bavarois de la CSU et du SPD, venaient de s’accorder sur un texte de 28 pages. Cette ébauche de programme commun de gouvernement doit servir de base à des négociations de détail, qui pourraient durer jusqu’au printemps.
Au terme de cinq journées d’âpres tractations, dont une dernière session de vingt-quatre heures nonstop, la chancelière conservatrice s’est félicitée du compromis trouvé, qui doit lui permettre de rester au pouvoir pour quatre années supplémentaires. Et sort l’Allemagne d’une crise politique historique.
Le texte doit encore être validé par les sociaux-démocrates, lors d’un congrès extraordinaire à l’issue incertaine qui se tiendra à Bonn le 21 janvier. Les négociations finales pourraient alors démarrer dès le lendemain. En fin de parcours, les militants du SPD devront à nouveau se prononcer, et dire s’ils approuvent le contrat de gouvernement.
Au lendemain des élections du 24 septembre, marquées par un repli des partis traditionnels et une poussée de l’extrême droite, la chancelière avait tenté de former une majorité «Jamaïque» inédite avec les Verts et les libéraux du FDP. Ces tractations, centrées sur l’adoption d’une politique migratoire audacieuse, l’abandon du
Cet accord donne l’impression d’une réédition du précédent gouvernement
charbon, des baisses d’impôts et un programme d’investissement dans l’éducation, avaient finalement échoué à l’initiative du FDP.
Sous le signe de la continuité
Au final, le document provisoire conclu avec le SPD dresse les grandes lignes des actions d’un quatrième mandat Merkel, placé sous le signe de la continuité, là où une coalition «Jamaïque» aurait marqué un véritable changement de cap à Berlin.
Sur le plan fiscal, l’ébauche de contrat de coalition prévoit des réformettes: abandon par étapes de l’impôt solidarité au profit de l’exRDA, maintien de l’objectif de l’équilibre budgétaire et utilisation des excédents publics pour des investissements. Les sociaux-démocrates ont notamment renoncé à l’une de leurs principales revendications, l’augmentation du taux maximal d’imposition du revenu de 42 à 45%. Ils ne sont pas non plus parvenus à imposer l’une autre revendication phare, l’abandon du système d’assurance maladie à deux vitesses, qui permet aux plus aisés de bénéficier de meilleurs soins.
200 000 réfugiés par an
En matière d’immigration, CDU et SPD ont convenu de limiter le nombre de nouveaux réfugiés à 200000 personnes par an (ce que demandait la CSU), en échange d’un petit contingent de 1000 personnes par mois au titre du regroupement familial.
En matière d’emploi, le SPD impose à son partenaire la possibilité pour les salariés à temps partiel de passer à un temps plein s’ils le souhaitent. Le gouvernement investira un milliard par an pour réintégrer 150000 chômeurs de longue durée sur le marché de l’emploi. Les deux partenaires s’engagent par ailleurs à lancer un vaste programme d’investissements publics en faveur notamment des écoles, souvent délabrées, et de la digitalisation.
Au niveau environnemental, CDU et SPD s’engagent à limiter l’usage du glyphosate en Allemagne et à élaborer un calendrier en vue de mettre fin à l’exploitation du charbon, mais renoncent à pénaliser les moteurs à diesel.
Ces mesures donnent l’impression d’une réédition du précédent gouvernement Merkel, à quelques détails près. La seule nouveauté concerne la politique européenne, inscrite dans le papier. Sous la pression du président du SPD, l’ancien président du Parlement européen Martin Schulz, l’Allemagne s’engage à initier avec la France une réforme de la zone euro.
«Nouveau départ de l'Europe»
Angela Merkel a promis de contribuer «à un nouveau départ de l’Europe» aux côtés de la France. Parmi les pistes avancées, la mise en place d’un Fonds monétaire européen, issu du Fonds de secours déjà existant pour les pays confrontés à des crises de la dette. Du point de vue de Berlin, il est censé surveiller davantage les déficits de la zone euro. Le document n’entre toutefois pas dans le détail des propositions faites par le président français Emmanuel Macron, en vue notamment de la création d’un budget de la zone euro.
Le SPD y serait favorable, mais la CDU beaucoup plus réservée. Pour Lüder Gerken, politologue au centre d’études sur la politique économique, la future coalition envoie «un message important en direction des partenaires européens, notamment de la France». Emmanuel Macron avait présenté son projet pour l’Europe deux jours après le scrutin allemand et n’a toujours pas reçu de réponse officielle de l’Allemagne à ses propositions.
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