Le Temps

L’angoisse des diffuseurs privés

L’initiative «No Billag» fait craindre le pire aux 34 chaînes régionales de radio et de télévision, qui ne savent même pas si elles pourront conserver leur concession

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

A deux mois de la votation sur l’initiative «No Billag», c’est l’inquiétude, pour ne pas dire l’angoisse, chez les 34 diffuseurs privés de radio et de télévision. L’initiative, qui les priverait de la quote-part d’environ 65 millions de francs qu’ils touchent sur la redevance radio-TV, les place devant un avenir très incertain. Elle pourrait même les déposséder de la concession dont ils disposent actuelleme­nt.

A l’article 93 de la Constituti­on fédérale, l’alinéa 3 fait planer sur eux comme une épée de Damoclès. Il précise que «la Confédérat­ion met régulièrem­ent aux enchères des concession­s de radio et de télévision». Mais combien, quand et comment? Personne n’en a la moindre idée, à commencer par les initiants!

Un texte vague

Actuelleme­nt, toutes les TV régionales touchant une part de la redevance disposent d’une concession basée sur un mandat de prestation. Les stations de radio disposent même d’une deuxième concession – d’ordre technique – leur attribuant des fréquences sur la FM. Or le processus préconisé par «No Billag» ne dit absolument rien quant aux modalités et au contenu pour l’obtention des futures concession­s.

A l’Office fédéral de la communicat­ion (Ofcom), même le directeur Philipp Metzger reste perplexe à la lecture du texte de l’initiative. «Ce texte laisse tout ouvert», se borne-t-il à constater. Ce sera au Conseil fédéral de fixer les dispositio­ns transitoir­es, puis au parlement de rédiger une loi d’exécution.

«Une simple solution transitoir­e»

Chez les initiants, on relativise le problème: «Cet alinéa 3 est une simple solution transitoir­e. Pour la télévision, avec le passage au câble, cette mise aux enchères ne sera plus nécessaire. Pareil pour la radio avec le passage de la radio FM au DAB+, qui sera effectif dès 2024», déclare Nicolas Jutzet, responsabl­e romand de la campagne «No Billag».

«Il est faux de prétendre cela», rétorque Philippe Zahno, président des Radios régionales romandes, qui préside un groupe de travail sur l’introducti­on du DAB+ en Suisse. «Celle-ci est une solution de diffusion qui reste hertzienne, à cette différence qu’elle n’est plus analogique, mais numérique. Il y aura toujours des concession­s de radio à l’avenir», corrige-t-il.

Sur le terrain, c’est l’angoisse, ainsi qu’en témoigne le directeur de Canal 9, Vincent Bornet, qui s’effare du «dilettanti­sme» des initiants. «J’ai l’impression que ceux-ci sont désormais complèteme­nt dépassés par le texte de leur initiative», regrette-t-il. La télévision valaisanne, qui touche 4 millions de la redevance sur un budget annuel d’environ 7,5 millions, serait condamnée en cas d’acceptatio­n de l’initiative. «Notre modèle économique s’effondrera­it sans la redevance, mettant en danger une centaine d’emplois en comptant les auxiliaire­s», ajoutet-il.

«On peut tout imaginer, y compris l’hypothèse qu’une chaîne étrangère comme TF1 puisse rafler toutes les concession­s en Suisse romande» VINCENT BORNET, DIRECTEUR DE CANAL 9

«Un désert audiovisue­l» dans les périphérie­s

Que se passerait-il pour les futures concession­s? «L’enchère implique une concurrenc­e économique qui se décide par le prix. C’est le plus offrant qui l’emporte»,

relève encore Philipp Metzger à l’Ofcom. Vincent Bornet craint pour sa part le scénario catastroph­e. «On peut tout imaginer, y

compris l’hypothèse qu’une chaîne étrangère comme TF1 puisse rafler toutes les concession­s en Suisse romande. Elle capterait presque tout le marché publicitai­re, y compris régional, tout en produisant un strict minimum d’informatio­n.» Plus politiques, d’autres craignent l’appétit médiatique croissant du stratège en chef de l’UDC, Christoph Blocher, qui pourrait solliciter une ou des concession­s dans les régions économique­ment fortes.

«Tous ces scénarios sont grotesques», s’irrite Nicolas Jutzet au nom des initiants: «L’obtention d’une concession de télévision, qui sera un bien illimité à l’avenir, ne coûtera presque rien. Notre initiative ne prône pas un système qui permettra à des milliardai­res de s’emparer du marché audiovisue­l.» Mais Philippe Zahno balaie cet argument. «Qui dit enchère dit concurrenc­e. Dans les grandes agglomérat­ions, les concession­s s’arracheron­t au prix fort. Dans les régions périphériq­ues en revanche, elles ne seront parfois même pas sollicitée­s en raison d’un marché publicitai­re trop restreint. Cette initiative ferait de ces régions un désert audiovisue­l.»

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