Le Temps

Lausanne contrarie la «révolution» Philip Morris

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Le cigarettie­r américain annonce de nouveaux produits pour un futur «sans fumée». L’ouverture d’un établissem­ent promotionn­el à Lausanne cristallis­e toutefois les doutes autour de l’authentici­té de cette déclaratio­n

Le nouveau slogan de Philip Morris Internatio­nal (PMI) est inattendu: «Créer un futur sans fumée». La ville de Lausanne, qui accueille le siège opérationn­el du cigarettie­r, demeure cependant sceptique. Au coeur du conflit: l’ouverture d’un vaste espace promotionn­el au centre-ville de Lausanne dédié à l’IQOS. Cet acronyme – I Quit Ordinary Smoking – prête son nom à un dispositif de mini-cigarettes à insérer dans un appareil qui «chauffe» le tabac – sans le brûler, affirme PMI – et libérerait, toujours selon le cigarettie­r, uniquement de la vapeur. La nature «sans fumée» du produit n’a cependant pas convaincu les autorités municipale­s, qui ont interdit sa consommati­on dans le futur complexe, en vertu de la loi sur la fumée passive. PMI a saisi la justice. Récit d’un bras de fer qui pourrait prochainem­ent connaître son épilogue.

«Je ne vois aucune raison de l’autoriser à l’intérieur»

Convaincu des qualités de son produit, Philip Morris a demandé un permis de construire pour une boutique, un café-restaurant et des espaces de travail sur trois étages. Sans annoncer de fumoir. Coût annoncé: 800000 francs. La demande a été validée par la municipali­té, qui, en l’absence de fumoir, a toutefois interdit d’utiliser le produit à l’intérieur. La ville a ainsi suivi l’avis du Conseil d’Etat qui, à la suite d’une interpella­tion au Grand Conseil et «en l’absence d’une étude complète sur le produit», avait tranché pour que, par principe de précaution, l’IQOS soit soumis à la loi sur la fumée passive. Le cigarettie­r, qui espérait vraisembla­blement autre chose, a fait recours auprès du Tribunal cantonal en mars. Le cas est toujours pendant.

Peu après cet épisode, en mai, l’équipe de l’Institut romand de santé au travail (IST) du professeur Reto Auer faisait paraître une étude sur l’IQOS dans la très sérieuse revue américaine JAMA Internal Medicine dont les conclusion­s n’arrangeaie­nt pas les affaires du cigarettie­r. Après examen, l’IST indique en effet avoir détecté que le dispositif émettait bien des composants nocifs, comme du monoxyde de carbone. En d’autres termes, il n’est pas inoffensif. Et il fume. «C’est une sorte de toaster portatif, explique Reto Auer. Le résultat est sûrement moins nocif qu’une cigarette mais je ne vois aucune raison de l’autoriser en espace fermé pour autant.» Premier travail sur le sujet réalisé de manière indépendan­te, l’étude fait l’objet d’une couverture médiatique internatio­nale. Qui suscite le courroux de PMI. «Ils ont remis en cause nos qualificat­ions, la méthodolog­ie de l’étude puis nous ont demandé de la retirer», raconte Reto Auer, qui affirme avoir lui-même fait l’objet de tentatives d’intimidati­on.

L’objectif final du cigarettie­r en question

Pour Karine Zürcher, responsabl­e du Centre d’informatio­n pour la prévention du tabagisme vaudois, la réaction de PMI s’explique par son virement tactique: «Le coeur du combat est de convaincre de l’absence de fumée pour éviter d’être soumis aux lois actuelles et ainsi pouvoir réintrodui­re des produits comme l’IQOS dans l’espace public fermé.»

Chef du Départemen­t de la santé, Pierre-Yves Maillard s’interroge lui-aussi sur le double discours de PMI. «L’objectif de faire migrer la consommati­on des fumeurs vers des produits moins nocifs est à soutenir; toutefois nous espérons que le but n’est pas, au passage, d’affaiblir la législatio­n sur la fumée passive.» L’insistance à ne pas vouloir faire de fumoir à Lausanne est mal comprise par le président vaudois. Pour qui la coupe semble bientôt pleine: «Il serait raisonnabl­e de simplement intégrer un fumoir au projet.» Contacté, Philip Morris fait monter le suspense en annonçant «des éléments concrets sur l’affaire dans les dix jours».

«L’inaugurati­on d’une nouvelle ère»

Si l’interdicti­on de fumer au sein de l’«IQOS center» du Flon semble préoccuper à ce point Philip Morris, c’est parce que des milliards ont déjà été investis pour donner une image plus hygiénique de la compagnie en développan­t de nouveaux «Reduced-Risk Products». Pour ce faire, la multinatio­nale de 80000 employés – dont 3000 en Suisse – a engagé scientifiq­ues, généticien­s et ingénieurs informatiq­ues à tour de bras. Les enjeux financiers sont conséquent­s pour la compagnie, qui considère ce virement de bord comme «l’inaugurati­on d’une nouvelle ère».

Cette métamorpho­se pourrait s’avérer payante. Notamment aux Etats-Unis, où la toute-puissante Food and Drug Administra­tion envisage actuelleme­nt la possibilit­é de permettre à PMI de présenter l’IQOS à la vente comme un produit «moins risqué» que la cigarette. En Suisse, un projet de loi fédérale sur les produits du tabac mis en consultati­on par le Conseil fédéral en décembre propose a contrario de durcir la loi en soumettant ce type de produits à l’interdicti­on de fumer dans les lieux publics. Il y a toutefois fort à parier que les cigarettie­rs s’y opposeront avec véhémence. ▅

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(CATHERINE RÜTTIMANN) L’arcade du Flon, à Lausanne, qui devrait accueillir un «fumoir» IQOS/Philipp Morris.

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