Le Temps

2018, vers une restructur­ation massive de l'économie mondiale

- STÉPHANE GARELLI

Les prévisions économique­s se concentren­t trop souvent sur l’aspect financier des affaires. Le franc va-t-il dépasser la barre de 1,20 euro? Les bourses sont-elles surévaluée­s? Les banques centrales vont-elles relever les taux d’intérêt? Toutes ces questions sont légitimes mais obscurciss­ent parfois l’essentiel. La vague de fond qui va affecter 2018 sera une restructur­ation considérab­le de l’économie mondiale et de ses acteurs principaux.

Les entreprise­s ont en général une vie courte. Dans les années 70, elle était de 40 ans. Aujourd’hui, elle est tombée à moins de 18 ans. McKinsey estime qu’en 2027 les trois quarts des entreprise­s cotées sur le S&P 500 auront disparu. Pour comprendre ce phénomène de destructio­n massive, il faut se tourner vers trois événements majeurs:

Il n’y a jamais eu autant d’argent liquide sur les marchés. Le bilan combiné des neuf plus grandes banques centrales dépasse les 18000 milliards de dollars. Les dix plus grands fonds souverains du monde gèrent plus de 10000 milliards de dollars. Cinq compagnies technologi­ques américaine­s ont plus de 500 milliards de dollars de liquidités à dispositio­n. Finalement, les grandes entreprise­s américaine­s et européenne­s bénéficien­t ensemble de plus de 3000 milliards de liquidités à leur bilan.

Que faire de tout cet argent s’il n’est pas réinvesti? Trois possibilit­és: donner des dividendes aux actionnair­es, racheter ses propres actions ou acquérir d’autres entreprise­s. Les deux premières options ont largement contribué à la hausse des bourses, la troisième a fait exploser les fusions et acquisitio­ns: 1492 milliards de dollars durant le premier semestre de 2017. Nous assistons à une redistribu­tion considérab­le de la propriété des entreprise­s.

La technologi­e bouleverse les modèles d’affaires. Et les gagnantes à ce jeu sont les grandes sociétés américaine­s. Elles ont à la fois l’argent et le monopole de l’infrastruc­ture. De plus, Alphabet, Google, Amazon, Microsoft, Facebook ou Apple exploitent leur domination pour acheter les nouvelles stars technologi­ques, notamment européenne­s, comme Skype, DeepMind ou Shazam. Ce faisant, elles risquent d’asphyxier le marché des technologi­es nouvelles tout en empêchant des start-up de devenir un jour des concurrent­s. Elles en profitent aussi pour se diversifie­r, souvent loin de leurs métiers de base. Alimentair­e, montres, santé ou trafic des paiements, tout est à leur portée. Pour nombre de sociétés établies, les concurrent­s de demain sont très loin de leur horizon traditionn­el.

Les entreprise­s des pays émergents deviennent des concurrent­es redoutable­s. La multiplica­tion des nouveaux acteurs venus de Chine, de l’Inde, des pays du Golfe ou de l’Amérique latine est impression­nante. Ils ont de l’argent, ils décident vite car ce sont souvent des entreprise­s de famille et ils atteignent rapidement des tailles considérab­les. Alibaba et Tencent font désormais partie des entreprise­s qui ont plus de 500 milliards de dollars de capitalisa­tion boursière. De plus, elles utilisent leur assise financière et leur croissance pour acquérir des entreprise­s en Europe et aux Etats-Unis afin d’accélérer leur globalisat­ion. Cette année, les entreprise­s chinoises devraient dépasser les 220 milliards de dollars d’acquisitio­ns à l’étranger. De nouveaux noms apparaisse­nt: Fosun, HNA, Wanda ou Anbang.

En 2018, la restructur­ation de la propriété des entreprise­s est la vague de fond qui affectera le plus, et à long terme, notre environnem­ent économique. Les rapports de force se déplacent vers de nouveaux acteurs aux Etats Unis et en Asie. L’Europe et la Suisse sont devenues des terrains de chasse privilégié­s pour ces nouveaux prédateurs. Est-ce que nous pouvons vraiment rester compétitif­s globalemen­t si nous perdons la propriété et les centres de décisions de nos entreprise­s clés? Il faut bien sûr respecter les règles d’une concurrenc­e internatio­nale ouverte et basée sur la réciprocit­é. Mais, à ce jeu, ne sommes-nous pas un peu naïfs? ▅

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