Le Temps

A l’Open d’Australie, l’aube et le crépuscule

La saison 2018 s’ouvre sur beaucoup d’incertitud­es. Malgré les exploits de Federer et Nadal, la saison 2017 a montré que les héros étaient mortels. Et que, à force de lutter contre l’obsolescen­ce programmée du Big Four, le tennis n’avait pas beaucoup pens

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Le tennis a perdu son innocence. Un âge d’or s’achève. Un autre lui succèdera peut-être

La saison de tennis qui débute lundi 15 janvier à Melbourne n'est pas empreinte de la même légèreté que les autres années. Il flotte généraleme­nt autour de l'Open d'Australie un parfum d'eucalyptus et d'insoucianc­e, une espérance portée par une brise de mer, comme un reste de vacances. Cette année, l'excitation qui préside à toute rentrée des classes cède la place à un sentiment étrange. Comme l'impression de vivre à la fois l'aube et le crépuscule.

Il manque quelques grands noms (Andy Murray, Serena Williams, les deux numéros un du début de saison 2017), d'autres font leur retour (Novak Djokovic, Stan Wawrinka et, dans une moindre mesure, Rafael Nadal et Maria Sharapova). Il manque surtout cette joie, cette insoucianc­e. En 2017, un voile s'est déchiré, en même temps que muscles, tendons, cartilages et ligaments. Le tennis a perdu son innocence. Un âge d'or s'achève. Un autre lui succédera peut-être, mais l'incertitud­e crée le doute.

A l’encontre de toute logique

Durant des années, l'ATP a tout fait pour que rien ne change. Federer, Nadal, Murray, Djokovic, parfois Wawrinka ou Del Potro, ont porté leur sport à un niveau médiatique et commercial encore jamais vu. Et puis les corps ont lâché, les blessures se sont succédé, les forfaits se sont accumulés, dévitalisa­nt une saison 2017 où le dessert, la finale Federer-Nadal à Melbourne, aura finalement été servi en entrée.

Il est possible que ce soit encore les mêmes cette année en finale. Il est possible que Novak Djokovic retrouve ses ardeurs guerrières. Mais le monde du tennis sait désormais que tout cela ne durera pas. Le tennis est redevenu mortel. Pour avoir voulu lutter contre l'obsolescen­ce programmée – un phénomène naturel et même sain en sport –, on est allé à l'encontre de toute logique industriel­le. La transition risque d'être brutale.

Soudaineme­nt, l'envers du décor apparaît. On voit les cicatrices, on devine les cadences infernales, on comprend la pression que cela sous-tend. On prend aussi la mesure du gouffre béant qui s'ouvre, avec cette relève qui peine à s'installer.

Vieillir. Les sportifs ont toujours défié cette fatalité qui leur pend au nez. «On fera de vilains vieux», plaisantai­ent-ils. Björn Borg l'était déjà à 26 ans. Boris Becker, qui marchait avec peine l'an dernier à Melbourne, n'a plus disputé de tournoi du Grand Chelem après 30 ans. Dans le tennis moderne, les vétérans sont non seulement toujours présents mais en plus dominants. En ce début d'année 2018, on recense 56 joueurs de 30 ans ou plus dans le top 100, dont encore trois dans le top 10 (Nadal, Federer, Wawrinka) malgré les blessures de Murray et Djokovic. Ils n'étaient que 16 trentenair­es dans le top 100 en 2008 (aucun dans le top 20), seulement 10 en 1998 et 6 en 1988.

Les cadences infernales ne sont pas nouvelles dans le tennis. Björn Borg a joué 107 matches durant la saison 1974, Jimmy Connors a enchaîné 97, 90 et 98 matches entre 1974 et 1976. Ivan Lendl a fait encore plus fou entre 1980 et 1982: 138, 110 et 115 matches! Derrière Connors (1535 matches en carrière), Federer (1382) et Lendl (1310), tous les grands champions ont à peu près disputé 1000 matches durant leur carrière profession­nelle: 927 matches pour Boris Becker, 984 pour Pete Sampras, 1071 pour Stefan Edberg, 1075 pour John McEnroe, 1144 pour Andre Agassi.

La grande différence, c'est l'enchaîneme­nt et l'intensité. Quand Borg ne disputait pas l'Open d'Australie, quand Agassi faisait l'impasse sur le gazon jusqu'à 20 ans et sur le voyage aux antipodes jusqu'à 25 ans, les joueurs actuels ne s'arrêtent jamais: 50 Grands Chelems consécutif­s pour Stan Wawrinka (de 2005 à 2017), 51 pour Novak Djokovic (de 2005 à 2017).

«C’était du meurtre»

Quant à l'intensité, aucune statistiqu­e n'en rend aussi bien compte que le souvenir terrifiant de Rafael Nadal et Novak Djokovic à bout de forces, incapables de se lever et presque de parler, après leurs six heures de match en finale de l'Open d'Australie 2012. «Ça n'en finissait plus! Vous pouviez jouer des heures sans que rien ne se passe parce que ce qui autrefois était un coup gagnant ne l'était plus. Ce n'était plus une finale, c'était du meurtre!» nous disait Pat Cash l'an dernier à Melbourne, où l'accélérati­on de la surface de jeu semblait avoir été le signe d'une prise de conscience.

Roger Federer a disputé une moyenne de 74 matches sur les dix dernières saisons (excepté l'année 2016, interrompu­e après 28 matches). Cela lui a permis d'enchaîner 65 Grands Chelems sans interrupti­on (de 2000 à 2016), d'établir des séries record de présence consécutiv­e en finale (10), en demi-finale (23), en quart de finale (36). Et surtout d'être toujours là l'année de ses 37 ans, en forme et en capacité de convoiter son vingtième titre du Grand Chelem. S'il n'en reste qu'un, ce sera évidemment lui.

 ??  ?? A 36 ans, Roger Federer affiche une belle forme à l’avant-veille du tournoi de Melbourne. Le Bâlois peut ainsi caresser un rêve à portée de raquette: gagner son vingtiè du Grand Chelem.
A 36 ans, Roger Federer affiche une belle forme à l’avant-veille du tournoi de Melbourne. Le Bâlois peut ainsi caresser un rêve à portée de raquette: gagner son vingtiè du Grand Chelem.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland