«Une génération vieillissante se heurte aux limites physiologiques du corps»
«Le sport de haut niveau use le corps, dont la capacité de réparation décline à partir de l’âge de 20 ans. Il y a une inadéquation entre les contraintes de l’effort et le temps de récupération»
Les progrès en matière d’entraînement et de soins n’ont servi qu’à une chose: permettre aux sportifs de jouer avec plus d’intensité, souligne le directeur médical du Swiss Olympic Medical Center à l’Hôpital de La Tour
Pourquoi y a-t-il autant de blessures dans le tennis alors que l’on joue plutôt moins qu’avant et que les joueurs n’ont jamais été aussi bien entourés, préparés, soignés? Il faut faire attention à ne pas généraliser. Le tennis professionnel, ce n'est pas uniquement le top 10, où il y a effectivement une hécatombe actuellement. Il n'existe pas d'étude épidémiologique sur le sujet mais, dans tous les sports, on observe que la proportion d'athlètes blessés est à peu près constante: 10% d'un effectif dans une équipe de football, 20% dans une équipe de hockey, 40% dans une équipe de football américain. Dans toutes ces disciplines, comme au tennis, les sportifs sont effectivement mieux suivis mais le nombre de blessures ne diminue pas.
Pourquoi? L'explication est multifactorielle. Dans le cas du top 10 du tennis, on a affaire à une génération de joueurs vieillissants qui connaissent des blessures d'usure: cartilage du genou pour Stan Wawrinka, attache du tendon rotulien pour Rafael Nadal, cartilage et labrum (une sorte de ménisque de la hanche) pour Andy Murray. Rien de spectaculaire, que des petites structures de rien du tout sur une IRM mais qu'on ne sait pas bien guérir parce que l'on se heurte aux limites physiologiques de l'être humain.
Ce sont bien souvent des lésions irréversibles. Le sport de haut niveau use le corps, dont la capacité de réparation décline à partir de l'âge de 20 ans. Il y a une inadéquation entre les contraintes de l'effort et le temps de récupération.
Malgré les plages de repos, malgré les physios personnels? Ce qui a fondamentalement changé dans le sport, c'est l'intensité. Souvenez-vous de Franz Beckenbauer disputant la demi-finale de Coupe du monde 1970 avec une épaule luxée, le bras en écharpe; ce serait impensable aujourd'hui! En tennis, tout a changé: les balles, les raquettes, les cordages, les surfaces, l'entraînement, l'encadrement. Mais tout n'a servi qu'à une seule chose: permettre aux joueurs de s'entraîner encore plus et surtout de jouer avec encore plus d'intensité. Et qui dit intensité dit contrainte mécanique sur les structures musculaires, tendineuses et cartilagineuses.
Les joueurs de tennis sont habitués à vivre avec la douleur. Au point d’en oublier qu’elle joue un rôle d’alarme pour le corps? Andy Murray a joué 87 matches en 2016 quand il force pour terminer l'année numéro 1 mondial. Il est sans doute allé trop loin parce que l'arthrose, c'est quelque chose de nouveau pour lui. Roger Federer connaît son dos, il peut gérer. Le dos, ce n'est pas très compliqué, peu de joueurs arrêtent à cause de ça. Poignets, coudes, hanches sont beaucoup plus problématiques.
Les joueurs semblent n’envisager l’opération qu’en dernière extrémité… Avec raison. Andy Murray sait qu'il tente un quitte ou double. L'opération de la hanche a raccourci la carrière d'un Gustavo Kuerten, par exemple. Le conseil pour toutes ces blessures, c'est d'attendre six mois, de se reposer, et ensuite de reprendre la charge d'entraînement. Le sportif est alors très vite fixé sur son état.
Comment expliquer que des footballeurs soient beaucoup plus confiants avant l’opération que les joueurs de tennis? Les footballeurs ont tort de banaliser l'opération des ligaments croisés (une blessure rare en tennis). Une étude scandinave portant sur les joueurs de haut niveau a montré que, trois ans après l'opération, seuls 50% jouaient encore au même niveau qu'avant. Cela peut passer inaperçu dans un sport collectif, pas dans le tennis où, on l'a dit, on joue avec toujours plus d'intensité.
Pour gagner de nouveau un Grand Chelem, Andy Murray sait qu'il ne peut pas être à 90% de ses capacités. Il doit pouvoir s'entraîner à 100% et jouer à 100%. Si un Rafael Nadal ne s'est jamais fait opérer, c'est parce qu'il connaît les statistiques: après une chirurgie du tendon rotulien, il faut entre neuf et quinze mois pour revenir.
Quelle est la solution? Faire comprendre le plus tôt possible dans une carrière l'importance de la gestion du capital anatomique. Et admettre que tous les sportifs ne sont pas égaux face à l'usure du corps et à la capacité d'absorption des charges. «Tout le monde n'est pas Roger Federer.»
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