Le Temps

Severin Lüthi: «Tout le monde n’est pas Roger Federer»

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«Pour Roger, la saison 2017 se serait-elle arrêtée après l’Open d’Australie qu’elle aurait déjà été fantastiqu­e. Il a continué et gagné 7 titres, 2 Grands Chelems. Comme entraîneur, je ne pouvais pas espérer autant mais je n’ai pas été totalement surpris. Depuis des années, je sais que «Rog’» est capable d’exploits incroyable­s, de revenir et de battre tout le monde. Mais le faire, c’est encore autre chose.

En Australie, il a bien débuté et a rapidement pris confiance, ce qui est un avantage énorme. Mais il a tout fait pour, il s’est entraîné dur, il a pris des risques. Dans sa réussite, il y a beaucoup de maîtrise et d’expérience. Pourtant, les marges sont faibles. Sa façon de jouer laisse croire que tout est facile, clair, qu’il a toujours le temps. Mais il suffit que son niveau de jeu diminue de quelques pour-cent pour que l’on se rende compte que ce n’est pas toujours ça. Je pense à sa défaite surprise contre Evgueni Donskoy à Dubaï; Donskoy n’est alors pas dans le top 100, il ne fait pas une saison incroyable derrière [71e à l’ATP]. Roger voulait gagner ce match mais il n’était plus assez frais. Gérer les émotions de Melbourne lui avait pompé de l’énergie. L’autre exemple qui me vient en tête, c’est la double confrontat­ion durant l’automne contre David Goffin, un joueur que je respecte énormément et auquel je ne veux rien retirer. Mais Rog’ le bat 6-1 6-2 à Bâle et, trois semaines plus tard, un peu fatigué, il perd contre lui à Londres.

Bien sûr, il aurait encore pu être numéro 1 mais il est difficile de tout chasser à 36 ans et, au fond, le classement n’est pas très important. Je préfère qu’il gagne un Grand Chelem de plus. En 2018, les tournois majeurs resteront ses objectifs prioritair­es. Nous avons planifié un peu sa saison mais plus l’objectif est loin, plus la prévision est floue. Rien n’est encore décidé pour la saison sur terre battue. Nous avons des idées, mais cela va dépendre de ce qui se passera avant.

Durant l’hiver, nous avons entendu beaucoup de choses sur l’état de forme supposé des uns et des autres. On essaie de ne pas trop écouter. J’ai entendu dire que Novak Djokovic n’avait pratiqueme­nt pas touché sa raquette jusqu’en novembre… Mais si physiqueme­nt il va bien, difficile de prédire quel sera son niveau. Mieux vaut ne s’occuper que de nous; pour les autres, on sera de toute façon assez vite fixé.

J’ai trouvé un peu extrême le nombre de joueurs qui ont mis fin à leur saison cet été. Je ne peux pas donner de noms, mais j’ai quand même un peu l’impression que certains ont voulu faire comme Roger en pensant que s’arrêter six mois était la «recette magique». C’était peut-être un hasard, mais je pense que c’était aussi un peu une mode. Le problème, c’est que Federer est unique.

Faire des pauses, respecter les trois phases (entraîneme­nt, compétitio­n, repos) est en tout cas bénéfique. Les joueurs moins bien classés font parfois l’erreur de vouloir jouer tous les tournois. Au bout d’un moment, ils en paient le prix physiqueme­nt. Pierre [Paganini] et Rog’ ont travaillé très intelligem­ment depuis des années.» ■

Severin Lüthi est l’entraîneur de Roger Federer.

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