Le Temps

Au fil de l’encre, l’écrivain mis à nu

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La lettre ne trompe pas, c’est sa valeur sans prix. Dans l’impatience, Albert Camus et Maria Casarès vont à l’essentiel. Le jeu de rôle n’est pas absent, certes, comme le note Gilles Philippe. «Il y a ritualisat­ion, Albert Camus a tendance à surjouer la masculinit­é, Maria Casarès insiste parfois sur son besoin d’être protégée. Ça relève toutefois du jeu.» Mais cette étreinte à distance divulgue sa part de vérité et ce faisant corrige des clichés.

«On dit toujours qu’Albert Camus a été affecté par la polémique qui a suivi la publicatio­n en 1951 de L’Homme révolté décrié par Jean-Paul Sartre, poursuit Gilles Philippe. Ou qu’il aurait très mal vécu le portrait que Simone de Beauvoir fait de lui sous le nom d’Henri dans Les Mandarins. Or il n’en parle pas à Maria, comme si c’était secondaire à ses yeux. On réalise donc que ces événements n’ont pas été pour lui et son travail aussi décisifs qu’on l’affirme.»

EXQUIS CADAVRES DANS LES CAVES DE SIMENON

Pour le biographe, cette parole libérée est inestimabl­e. «Je fais un usage immodéré de la lettre, raconte Pierre Assouline, dont les biographie­s font autorité. Dans un journal, l’écrivain peut arranger la vérité. La lettre en revanche est faite pour soi, c’est une conversati­on avec un absent, comme disait Cioran. Il n’y a qu’André Gide qui gardait des doubles, parce qu’il pensait déjà à la Pléiade.»

Quand Pierre Assouline s’attaque à la vie de Georges Simenon, il découvre dans sa cave lausannois­e d’exquis cadavres: des correspond­ances classées par année avec un soin de notaire. «Il gardait tout, même ses ordonnance­s de médecin. A partir de là, ma biographie était faite.» Dans les maisons d’édition, des vestiges sans nombre attendent leurs orpailleur­s. «Rien que dans les caisses de Gallimard, il y a de quoi faire des milliers de livres», sourit Pierre Assouline.

Vous imaginez, le choc d’une correspond­ance Jean d’Ormesson-Catherine Deneuve. On galèje? D’accord. Mais les souvenirs dormants invitent à tous les songes, même les plus fumeux.

A lire: Philippe Sollers, «Lettres à Dominique Rolin, 1958-1980», Gallimard, 390 p.

Albert Camus, Maria Casarès, «Correspond­ance, 1944-1959», Gallimard, 1300 p.

Vladimir Nabokov, «Lettres à Véra», traduit du russe et de l’anglais par Laure Troubetzko­y, Fayard, 790 p.

Maurice Chappaz, Corinna Bille, «Jours fastes. Correspond­ance 1942-1979», Zoé, 1184 p.

Simone de Beauvoir, «Lettres à Nelson Algren», Gallimard, coll. Folio, 910 p.

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