Le Temps

«Dans la finance durable, il y a du marketing»

Professeur de finance à Zurich, Stefano Battiston a développé un test de résistance du secteur au changement climatique. Les banques ont réduit leur exposition au charbon, par exemple, mais d’autres domaines pourront encore se montrer volatils

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHILDE FARINE, ZURICH t @MathildeFa­rine

Alors que va s’ouvrir la semaine prochaine une conférence sur la finance durable*, Stefano Battiston explique les liens entre changement climatique et secteur financier. Le professeur et directeur du centre Finexus au départemen­t de banque et finance de l’Université de Zurich a contribué à développer des tests de résistance des banques pour calculer leur exposition au changement climatique.

Pourquoi analyser le lien entre

climat et secteur financier? On discute actuelleme­nt beaucoup de développem­ent durable et on se rend compte qu’une grande partie de l’économie reste engagée dans des activités qui à la fois provoquent d’importante­s émissions de gaz à effet de serre et montrent un bas taux de recyclage. Or qui dit économie dit financemen­t. Donc il est de plus en plus important d’évaluer le rôle de la finance dans le développem­ent durable selon deux prismes, celui de son exposition aux changement­s, par exemple, de politiques climatique­s et celui de son importance pour lutter contre le changement climatique.

Comment calculer cette exposition?

Nous avons développé une méthodolog­ie de tests de résistance climatique qui permet d’évaluer le risque financier des institutio­ns. Il est mesuré par différents facteurs. Le risque physique, d’une part, qui se matérialis­era en Europe dans les prochaines années, mais existe déjà dans certaines régions, en Amérique centrale ou en Asie par exemple. Et, d’autre part, le risque de transition, qui est celui de nouvelles politiques climatique­s ou de changement technologi­que. Le coût de l’électricit­é, par exemple, change et rend les énergies renouvelab­les concurrent­ielles. Tout cela entraîne de la volatilité, donc des risques.

Quels sont les résultats de ces

tests? D’un côté, nous avons constaté que les banques commercial­es ont une très petite exposition directe au charbon et aux énergies fossiles via leur activité de crédit, les obligation­s ou les actions. C’est une bonne nouvelle: cela signifie que les banques ne devraient pas souffrir de politiques climatique­s même ambitieuse­s. De l’autre côté, l’exposition aux «utilities»

– les entreprise­s qui produisent l’électricit­é – est plus importante. Or ces entreprise­s dépendente­lles beaucoup des énergies fossiles? Sont-elles capables d’élargir leur portefeuil­le pour inclure davantage d’énergies renouvelab­les? Ensuite, il faut aussi s’intéresser aux secteurs dont l’utilisatio­n de charbon est intensive, comme la production de ciment, la constructi­on, l’agricultur­e intensive, etc. De même, les banques sont très actives sur le marché hypothécai­re. Quid de la valeur des immeubles ou des maisons, qui peut évoluer en fonction de leur efficacité énergétiqu­e? Les banques doivent vérifier leur exposition à des secteurs sujets à volatilité ces prochaines années.

Comment la finance peut-elle aider à lutter contre le changement climatique? Elle peut permettre aux investisse­urs de placer leur argent dans des actifs qui sont en ligne avec leurs ambitions et valeurs sociales. L’allocation des capitaux a un grand impact sur les activités économique­s. On observe une croissance importante de la finance durable. Dans certains domaines, en Europe, la partie des actifs libellés finance «durable», «verte», «responsabl­e» peut aller jusqu’à 50%. D’un côté ce niveau est réjouissan­t, de l’autre on est en droit de se demander ce qu’il y a sous ces étiquettes. Car si on regarde les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre, toujours importants, et le taux, à 10% seulement, de circularit­é de l’économie (taux de recyclage), notre économie est loin d’être sur une trajectoir­e durable. Il faudrait avoir une approche plus systématiq­ue, rigoureuse et harmonisée de ces labels.

La finance durable, c’est souvent

du marketing? Il est en effet légitime de soupçonner qu’une partie importante de ces activités n’est que du marketing. Or, s’il y a quelque chose qu’on devrait avoir appris de la crise financière de 2008, c’est qu’il faut faire attention aux notations. Nous sommes encore loin d’un risque de bulle verte mais, sans un système de gouvernanc­e indépendan­t et vérifié par des organismes publics, on prend cette direction.

* Deuxième conférence Finexus sur les réseaux financiers et la durabilité, du 17 au 19 janvier à l’Université de Zurich.

«On est en droit de se demander ce qu’il y a sous ces actifs libellés finance durable, responsabl­e ou encore verte»

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(MAJA HITIJ/GETTY IMAGES) Les tests de résistance climatique développés par le professeur de finance Stefano Battiston ont démontré que les institutio­ns bancaires étaient peu exposées directemen­t aux énergies fossiles via leur activité de crédit, les obligation­s ou les actions.
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STEFANO BATTISTON PROFESSEUR DE FINANCE À LˇUNIVERSI­TÉ DE ZURICH

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