Le Temps

Ne pas oublier l’ATS

- VALÈRE GOGNIAT @valeregogn­iat

Cela arrive parfois. Certains lecteurs nous demandent qui est ce mystérieux «ATS» qui signe tant d’articles sur des sujets si variés. Cette question, certes anecdotiqu­e, souligne deux réalités: l’Agence télégraphi­que suisse reste méconnue du grand public mais elle est plus que jamais une ressource vitale pour tous les médias du pays. A l’heure où elle traverse l’une des crises les plus graves de sa longue histoire, les politicien­s devraient mieux s’en souvenir.

Car, depuis quelques jours, l’ATS ne se contente plus d’être une signature discrète après le point final des articles. Elle en est devenue le sujet. Sa direction a annoncé lundi une restructur­ation pouvant entraîner la suppressio­n de près de 40 postes de journalist­e.

Les raisons? Multiples et complexes. Comme le résume un historien dans nos pages, le problème se niche dans la transforma­tion structurel­le de l’entreprise: longtemps, ses propriétai­res – les groupes suisses de médias, qui sont aussi ses principaux clients – n’avaient pas d’ambitions commercial­es pour cette société. Cela devrait changer avec l’arrivée prochaine de nouveaux actionnair­es autrichien­s.

L’ATS, en passe de fusionner avec l’agence photograph­ique Keystone, traverse aujourd’hui une crise. La baisse constante des revenus de ses principaux clients, les médias, génère de pénibles négociatio­ns sur ses tarifs. La multiplica­tion de l’informatio­n sur Internet donne, en plus, cette impression générale que ce qu’elle produit ne coûte rien. Pour dégager de nouveaux revenus, elle s’est mise à la vidéo et entend développer des activités de relations publiques en marge de sa production éditoriale.

Pour l’heure, le fait que l’agence plus que centenaire soit aujourd’hui sous une telle pression préoccupe surtout les journalist­es. Il faut dire que l’ATS représente pour eux un filet de sécurité, une base solide sur laquelle ils construise­nt leur travail au quotidien. Les politicien­s, eux, ne s’y intéressen­t que de loin: au milieu du vacarme assourdiss­ant provoqué par «No Billag», le démembreme­nt progressif de l’ATS ne fait de bruit ni à droite ni à gauche.

Sur une échelle du désastre médiatique, son délitement équivaudra­it pourtant à la disparitio­n de la SSR. En particulie­r pour cette fameuse «cohésion nationale» brandie à tout va lors des discussion­s sur cette initiative. Moins d’ATS, c’est moins de Suisse! Ses traduction­s précieuses et son réseau national permettent à ce petit pays quadriling­ue de dialoguer avec lui-même.

Sans compter qu’à l’heure des fake news, le soin maniaque qu’elle apporte à la vérificati­on de l’informatio­n est d’une valeur inestimabl­e. La Confédérat­ion l’a bien compris, elle qui verse chaque année plus de 3 millions de francs à l’agence (10% de son budget) sous la forme d’un abonnement généreux à ses services. Et qui prévoit de lui octroyer une portion de la redevance dès 2019.

A des années-lumière des plateaux de télévision bien éclairés et des présentate­urs vedettes de la SSR, le quotidien de l’ATS est plutôt composé de bureaux grisâtres et de journalist­es de l’ombre. Pour des politicien­s toujours en quête de visibilité, on comprend que cette cause soit moins facile à défendre. Il est pourtant impératif de ne pas oublier l’ATS.

Moins d’ATS, moins de Suisse

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