Le Temps

Aya, l’extraordin­aire histoire d’une réfugiée

Sa famille a été rejetée par les Etats-Unis, la voilà en Suisse. Déterminée, Aya Mohammed Abdullah est devenue une icône pour les jeunes réfugiés. Elle est invitée à s’exprimer au WEF de Davos aux côtés de l’actrice américaine Cate Blanchett

- (MARK HENLEY/PANOS PICTURES)

Après des années de cauchemar, Aya Mohammed Abdullah vit aujourd’hui un rêve éveillé. Rejetée avec sa famille par les Etats-Unis, cette Irakienne de 22 ans a trouvé asile en Suisse, où elle est devenue «déléguée du HCR pour la jeunesse». Elle est invitée au Forum de Davos où, au côté de la star hollywoodi­enne Cate Blanchett, elle s’exprimera sur ce que signifie une vie de jeune réfugiée.

C’est une jeune femme déterminée, qui dégage une incroyable énergie, avec laquelle nous bavardons par Skype. Une jeune femme resplendis­sante, dont le sourire masque les drames du passé. «Ma vie en Suisse? Ces quatre derniers mois ont été intenses, ils ont changé ma vie!»

Aya Mohammed Abdullah est Irakienne. Elle vit un rêve éveillé à Genève, après être passée par la case cauchemars. Sa famille a d’abord fui vers la Syrie en 2009. Puis, quand la guerre a éclaté en 2011, elle a été contrainte de prendre à nouveau le chemin de l’exil, cette fois vers la Turquie. Aya n’a alors que 14 ans. Son père, qui faisait l’objet de menaces, a entre-temps disparu. Soutenue par le Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la famille privée de figure paternelle obtient, en septembre 2015, une réponse positive pour partir aux Etats-Unis, où elle souhaitait démarrer une nouvelle vie. Les valises étaient prêtes. Deux mois plus tard,une lettre du gouverneme­nt américain, brise son rêve: la famille Abdullah apprend qu’elle n’y est plus la bienvenue.

Aujourd’hui, Aya, 22 ans, son frère de 20 ans, ses deux petites soeurs de 12 et 13 ans et ses parents vivent à Genève. Oui, «ses parents». Car le père a été retrouvé. Il s’était discrèteme­nt réfugié en Suisse il y a deux ans et demi, et la famille a enfin pu être réunie par un formidable coup du destin. «Toute l’histoire d’Aya est incroyable», souligne Barbara*, une habitante de Genève qui s’est prise d’affection pour la jeune réfugiée mais préfère rester anonyme. «Elle est étroitemen­t liée aux réseaux sociaux. Son histoire a été publiée le 13 décembre 2015 sur le blog à succès du photograph­e new-yorkais Brandon Stanton, Humans of New York. Quelqu’un la voit, en parle au père d’Aya et c’est là que ce dernier remarque qu’il s’agit de sa fille! Il laisse un message sur Facebook, où le compte de Brandon Stanton est suivi par 18 millions de fans. Par chance, Brandon le repère parmi les centaines de commentair­es reçus. Il le relaie aux avocates qui ont défendu le dossier d’Aya face au gouverneme­nt américain. Et c’est comme ça, une fois que l’identité du père a été vérifiée, que la famille s’est retrouvée et que le HCR a obtenu qu’elle soit accueillie en Suisse!»

Aya doit beaucoup à Brandon Stanton. Elle l’a rencontré en Turquie, à Gaziantep, quand elle travaillai­t comme interprète pour différente­s ONG s’occupant de réfugiés. Elle l’a aidé à en rencontrer pour son nouveau projet, celui consistant à raconter non plus seulement le destin de New-Yorkais, mais ceux d’exilés. Jusqu’à ce qu’il décide de s’intéresser à son propre parcours. Grâce à lui, l’histoire d’Aya a été médiatisée aux Etats-Unis. La jeune Irakienne est même apparue dans l’émission GPS de Fareed Zakaria, sur CNN, via Skype, avec un hijab sur la tête. Un immense élan de solidarité s’était créé autour d’elle. Brandon Stanton, qui n’a pas caché son émotion à la télévision, a lancé une pétition sur Change.org pour que les Etats-Unis reviennent en arrière et accueillen­t Aya et sa famille. En vain. La pétition avait rapidement rassemblé un million de signatures.

Une «deuxième maman»

Sur le blog, Aya décrivait ses années en Turquie comme les plus difficiles de sa vie. Nouvelle vie, nouvelle langue, nouvelles règles, nouveaux coups durs, il fallait tout reprendre à zéro. Rebelote lors de son arrivée en Suisse. «Les deux premiers mois ont été difficiles. Nous étions d’abord hébergés dans le centre pour réfugiés de Perreux, à Neuchâtel. Il fallait de nouveau s’habituer à une nouvelle culture, prendre des repères, comprendre le système. On ne faisait rien à part manger et dormir. J’étais déçue, un peu déprimée. On ne pouvait même pas recevoir de chocolat dans le centre! Aujourd’hui, la situation est meilleure: nous partageons une maison à Genève avec une famille de réfugiés kurdes. Ils sont aussi six. Mais la cohabitati­on n’est pas toujours évidente.»

Puis les yeux d’Aya se mettent à briller lorsqu’elle évoque sa rencontre avec Barbara: «C’est ma béquille, ma deuxième maman! Les avocates américaine­s qui se sont occupées de mon dossier m’ont un jour contactée en disant qu’une femme en Suisse souhaitait m’aider. J’ai accepté de la voir. Elle est d’un grand soutien psychologi­que! Elle m’aide à m’intégrer en Suisse.» Modeste, Barbara rectifie: «Je n’ai pas fait grand-chose. Le panel du HCR, Davos, c’est Aya elle-même qui a réussi tout ça, grâce à sa force et à son charisme.»

Panel du HCR? Arrivée en Suisse en septembre, Aya est officielle­ment devenue «déléguée pour la jeunesse» pour le HCR en novembre, grâce à son travail avec les réfugiés en Turquie. Elle a eu l’occasion de s’entretenir avec le haut-commissair­e Filippo Grandi et a tenu un discours devant les délégués du HCR, remarqué. C’était le 12 décembre à Genève. «J’avais déjà été invitée par le HCR en 2016, quand je vivais en Turquie, mais je ne pouvais pas me déplacer en raison des restrictio­ns de voyage liées à mon statut de réfugiée. Voilà que j’ai pu y participer, en étant domiciliée à Genève. C’est incroyable, non?» commente la coquette Aya, décidément bien bavarde. Des délégués suisses l’ont approchée, sentant le potentiel en elle pour faciliter l’intégratio­n de réfugiés. Normal: elle a pour ambition de devenir la voix des sans-voix.

L’invitation à Davos

Mais il y a plus fort. Aya a été invitée au Forum économique mondial de Davos. Le 22 janvier, elle s’exprimera avec la star hollywoodi­enne Cate Blanchett devant un parterre de banquiers, politicien­s et hommes d’affaires, sur ce qu’est une vie de jeune réfugiée. Ce sera dans le cadre de la 24e cérémonie des Crystal Awards, qui récompense cette année trois artistes, Cate Blanchett, Elton John et l’acteur de Bollywood Shah Rukh Kahn, pour leur engagement. Cate Blanchett est depuis mai 2016 ambassadri­ce de bonne volonté du HCR. «J’adore Cate Blanchett! Nous allons faire un Facebook live, je me réjouis vraiment de ce moment», commente Aya, sans parvenir à masquer son impatience de rencontrer l’actrice. Aya parle un bon anglais. Elle l’a appris en Irak, avec des soldats américains. Mais aussi en s’abreuvant de films hollywoodi­ens. On comprend mieux pourquoi, se laissant emporter par son enthousias­me, elle répète régulièrem­ent: «Oh my God!»

Tout va très vite pour l’Irakienne, pilier de sa famille. Si elle n’était pas dotée d’une grande maturité, il y aurait de quoi perdre la tête. Elle n’a pas été acceptée par l’Université de Genève, qui dispose pourtant d’un programme «Horizon académique» pour les réfugiés: elle s’est plus ou moins fait signifier qu’elle pourrait retenter le coup dans deux ans, quand elle maîtrisera bien le français et aura repassé son bac. Frustratio­n et désespoir pour la jeune femme avide de connaissan­ces. Mais la bonne nouvelle est tombée cette semaine: elle a été acceptée par la Webster University. «C’est fou! Tout s’est fait en quelques jours. Je n’en reviens toujours pas», clame Aya, le sourire comme greffé sur le visage. Elle intégrera l’université lundi, pour y suivre des cours de relations internatio­nales. «Mon rêve? Finir mes études et continuer à travailler en faveur des réfugiés.» Plus qu’un rêve, c’est un projet qu’elle a déjà bien entamé.

Quelques jours avant Davos, une autre belle nouvelle attend Aya. Le 17 janvier, elle retrouvera George. Son chien. Elle avait dû le laisser en Turquie, car il n’avait pas les papiers nécessaire­s.

La famille ayant bénéficié d’un programme de réinstalla­tion du HCR, tous ses membres sont aujourd’hui déjà titulaires d’un permis B de réfugié. Aya peut désormais envisager un avenir plus serein. Même si certains souvenirs, comme le bombardeme­nt qui a déchiqueté sa meilleure amie, Miriam, sous ses yeux, la marqueront à jamais.

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(MARK HENLEY/PANOS PICTURES) Aya Mohammed Abdullah vit désormais à Genève avec toute sa famille.

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