Les appétits contrariés des banques suisses face au marché chinois
Objet de toutes les convoitises, le gigantesque marché des résidents chinois reste très difficile à percer pour les établissements étrangers. Et cela malgré l’ouverture progressive voulue par Pékin
C’est la nouvelle frontière de la gestion de fortune. Le marché chinois onshore (qui regroupe les avoirs déposés en Chine) bénéficie de l’expansion de la classe moyenne, dont le patrimoine cumulé devrait croître de quelque 3000 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, selon le Boston Consulting Group. L’Empire du Milieu, avec son 1,4 milliard d’habitants et ses deux nouveaux milliardaires par semaine, est considéré comme stratégique par les grands groupes bancaires internationaux, dont les Suisses. Or ce marché est particulièrement difficile à pénétrer.
«Seules quatre à six banques suisses peuvent avoir la capacité de créer des opérations significatives en Chine», déclare au Temps Sergio Ermotti, le directeur général d’UBS. Il s’est exprimé lors d’une conférence organisée la semaine passée à Shanghai pour 2500 des clients asiatiques de sa banque à laquelle Le Temps a été invité. Venant du premier acteur financier étranger du pays, où il est présent depuis 1989, cette opinion – partagée par l’ensemble des interlocuteurs rencontrés lors de notre semaine à Shanghai – reflète la complexité de la gestion de fortune en Chine.
La guerre des sésames
Selon les derniers chiffres disponibles, UBS affiche 345 milliards de francs d’actifs dans la gestion de fortune en zone Asie-Pacifique. L’immense majorité de cette somme provient du reste de l’Asie et est offshore, c’est-à-dire déposée hors de Chine, en particulier par les entrepreneurs asiatiques actifs au plan international. UBS gère également environ 150 milliards de francs dans l’asset management de cette partie du monde.
Pour croître sur le marché chinois onshore, la réglementation constitue le premier obstacle. Les activités financières sont supervisées de manière compartimentée en Chine, par différents régulateurs, ce qui multiplie le nombre de licences à obtenir. Difficile donc de se battre à armes inégales contre des concurrents détenant des licences leur permettant une plus large palette d’activités, comme Citi, HSBC ou Standard Chartered.
UBS China Ltd, la banque chinoise de gestion de fortune du groupe suisse, a déposé une demande de licence complète qui lui permettrait de proposer des produits financiers en renminbi à la clientèle locale. Active à Pékin et Shanghai, elle possède déjà cette licence dans la capitale chinoise. Obtenir ce sésame à Shanghai équivaudrait à détenir une licence nationale.
En Chine, UBS est également active dans les valeurs mobilières, à travers son joint-venture UBS Securities. Le groupe suisse souhaite augmenter sa participation de 24,9 à 49% puis à 51%, suite à l’annonce en novembre par Pékin que la participation des groupes étrangers dans des coentreprises financières ne serait prochainement plus limitée. D’autres grands acteurs du courtage comme Morgan Stanley ou Goldman Sachs ont également annoncé une volonté similaire.
Les autres banques suisses
Contacté par Le Temps, Credit Suisse déclare «évaluer ses options» concernant le joint-venture onshore actif dans les valeurs mobilières dont la banque détient 33%, Credit Suisse Founder Securities. La deuxième banque suisse détient également 20% du premier gérant d’actifs chinois, ICBCCS, à travers une coentreprise avec Industrial and Commercial Bank of China, la plus grande institution du pays. En revanche, Credit Suisse ne possède pas d’activité de gestion de fortune onshore en Chine. Selon ses derniers résultats disponibles, le groupe gérait 190 milliards de francs d’actifs en Asie-Pacifique au troisième trimestre 2017 (+13% sur un an).
Autre banque suisse présente en Chine continentale, Julius Baer compte un bureau de représentation à Shanghai depuis novembre 2011. Il assure la liaison avec les entreprises et les régulateurs locaux, et joue un rôle de consultant pour le reste du groupe. Julius Baer conseille ses clients chinois depuis son bureau de Hongkong, précise encore un porte-parole. Son bureau de représentation de Shanghai n’étant pas un joint-venture, l’assouplissement des règles sur l’actionnariat n’a aucun impact pour la banque. Qualifiée de «deuxième marché domestique» par Julius Baer, l’Asie représente 20 à 25% de ses avoirs totaux, qui s’élevaient à 393 milliards fin octobre 2017.
Big bang sur le papier
Mais l’assouplissement des règles sur l’actionnariat dans le secteur financier ne signifie pas que les participants occidentaux à des coentreprises pourront automatiquement devenir majoritaires, observe un dirigeant bancaire que Le Temps a rencontré à Shanghai.
«Les partenaires locaux dans les joint-ventures pourront tout à fait refuser qu’une banque suisse ou européenne monte à 51% du capital, il est très possible que certains acteurs domestiques préféreront liquider ces structures plutôt que de céder la majorité», explique ce fin connaisseur du marché asiatique, qui ne souhaite pas s’exprimer à titre personnel. Pour lui, cet assouplissement des règles est surtout un «big bang sur le papier», chaque participant occidental devant naviguer selon la volonté de son ou ses partenaires. Des partenaires qui peuvent aussi constituer des concurrents de demain, après avoir appris les recettes de leurs alliés occidentaux dans un joint-venture.
La stratégie de diversification d’UBS passe aussi par le segment «affluent» des clients chinois, qui correspond grosso modo à la classe moyenne. Ces clients auront besoin de diversifier leurs placements, qu’ils géreront de plus en plus en ligne: quelque 100 millions de Chinois ont acheté au moins un produit financier sur Internet l’an dernier, et ce chiffre devrait connaître une croissance à deux chiffres, estime encore la banque.
C’est pour les cibler qu’elle a conclu une coentreprise avec la Qianhai Financial Holdings, le régulateur financier de cette zone franche de la ville de Shenzhen, souvent décrite comme la Silicon Valley chinoise. Ce partenariat devrait offrir à UBS un accès aux riches entrepreneurs de la région ou plus simplement de nouvelles technologies, dans un pays où le service de messagerie WeChat (l’équivalent de WhatsApp) permet aussi à ses 900 millions d’utilisateurs d’effectuer des paiements, d’évaluer leur capacité à recevoir un prêt ou de fournir un document d’identité reconnu officiellement.
▅
«Seules quatre à six banques suisses peuvent avoir la capacité de créer des opérations significatives en Chine» SERGIO ERMOTTI, DIRECTEUR GÉNÉRAL D’UBS