Le Temps

L’aéroport de Notre-Damedes-Landes, le test vert du quinquenna­t Macron

Le premier ministre, Edouard Philippe, s’est rendu samedi dans la commune de Notre-Dames-des-Landes. Le projet de nouvel aéroport, controvers­é depuis 40 ans, semble sur le point d’être abandonné

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Un test décisif pour le quinquenna­t d’Emmanuel Macron va se jouer, d’ici à fin janvier, dans cette petite mairie où le premier ministre, Edouard Philippe, s’est rendu samedi par surprise. Au coeur du bourg de Notre-Damedes-Landes (2000 habitants), le dos tourné aux milliers d’hectares achetés par l’Etat français afin d’y construire le futur aéroport envisagé depuis près de 40 ans pour desservir le Grand Ouest, le modeste bâtiment dit, à lui seul, l’impasse politique. A l’intérieur, le maire, Jean-Paul Naud, continue, vaille que vaille, à défendre ce projet contre lequel ses administré­s se sont pourtant prononcés à plus de 70% lors du référendum consultati­f local de juin 2016 organisé dans le départemen­t de Loire-Atlantique (55% de oui). A l’extérieur, les panneaux d’affichage et les vitrines des rares commerces arborent les tracts des associatio­ns écologiste­s et des collectifs militants de la ZAD, la «zone à défendre» constituée sur les terres réquisitio­nnées à partir de 1974 pour la constructi­on des pistes et du futur terminal aéroportua­ire.

Le chef du gouverneme­nt français s’est bien gardé, ce week-end, d’aller au-devant des militants et des activistes installés de façon quasi permanente depuis 2012 dans cette zone agricole de nondroit, où volontaire­s de tous pays (avec des Suisses parmi eux) côtoient les propriétai­res les plus obstinés des exploitati­ons agricoles, résistant à l’ordre d’expropriat­ion. Pas question de risquer un affronteme­nt alors que la décision finale sur le sort de l’aéroport doit tomber dans les jours à venir. Fin décembre, un ultime rapport commandé par l’Etat à trois médiateurs après une enquête publique en 2008 et une commission de dialogue en 2013 – Gérard Feldzer, ancien pilote de ligne, Michel Badré, ingénieur membre du Conseil économique, social et environnem­ental, et Anne Boquet, préfète – a été rendu. Le document, non publié, revient sur ce projet lancé en 1960, et devenu à la fois le symbole des blocages hexagonaux et l’objet d’un bras de fer entre écologiste­s et partisans de nouvelles infrastruc­tures régionales. Les années 70 avaient vu un pareil bras de fer au sujet du plateau du Larzac, dans le Massif central, où le gouverneme­nt de l’époque souhaitait faire passer un camp militaire de 3000 à 17000 hectares. L’armée avait au final capitulé. Les 1600 hectares de Notre-Dame-des-Landes ont repris ce flambeau.

Sur le plan économique, l’affaire est pourtant entendue. L’actuel aéroport de Nantes Atlantique, saturé et très proche de la ville, offre une desserte jugée très insuffisan­te par les opérateurs économique­s. La vitalité industriel­le de cette partie ouest de la France, l’une des dernières terres de PME, très tournée vers l’internatio­nal (les chantiers navals de Saint-Nazaire sont à moins de 100 kilomètres du site controvers­é) et portée par le tourisme (les plages de La Baule, la Vendée et la Bretagne se trouveraie­nt ainsi à portée de vols low cost) peut justifier un tel aménagemen­t. Cela permettrai­t aussi de remédier au problème français des liaisons aériennes de province à province, sans passer par Paris qui est désormais à moins de deux heures de la ville par TGV.

L’aspect politique, par contre, a viré à la débâcle lors du quinquenna­t précédent. L’ancien premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault, ex-maire de Nantes – qui regrettait samedi dans Le Monde la «tournure irrationne­lle» prise par le dossier –, avait «vendu» son projet phare à François Hollande. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Les Verts, en rupture avec la majorité socialiste, se sont mobilisés. Une tentative immédiate d’évacuation de la ZAD – détourneme­nt de l’appellatio­n administra­tive «zone d’aménagemen­t différé» – par les forces de l’ordre en 2012 a été un fiasco. La mort en 2014 d’un jeune activiste, Rémi Fraisse, sur le site lui aussi contesté du projet de barrage de Sivens (Tarn) lors d’un affronteme­nt avec les policiers – un nonlieu a été prononcé la semaine dernière par la justice – a transformé l’affaire en duel politique et médiatique. Avec, pour Emmanuel Macron, la complicati­on qui

Le coût politique d’une poursuite controvers­ée du chantier, et d’une évacuation, deviendrai­t un boulet

«Les activistes qui resteront témoignero­nt de leur volonté de reconstrui­re ce territoire en lien avec les paysans et les élus locaux» JOSÉ BOVÉ, DÉPUTÉ EUROPÉEN VERT

résulte de la présence au sein du gouverneme­nt de Nicolas Hulot, hostile à ce projet «coûteux, inhumain et inutile».

Comment en sortir? Deux pistes sont à l’étude et pourraient être validées par la décision présidenti­elle attendue avant le départ d’Emmanuel Macron pour Davos, où il interviend­ra le 24 janvier. La première est celle de l’abandon du projet de Notre-Dame-desLandes, en échange d’une extension de l’actuel aéroport de Nantes (environ 4 millions de passagers par an) via une nouvelle piste et un raccordeme­nt avec le réseau TGV. Cela pour une facture d’environ 300 millions d’euros, contre plus de 1 milliard évoqué pour la plateforme de Notre-Dame-desLandes. Dilemme: que proposer à l’entreprise Vinci, concession­naire du projet, en mesure d’exiger près de 280 millions d’indemnités en cas d’annulation ?

Seconde piste: celle d’un accord entre l’Etat et les occupants de la ZAD au sujet des hectares aujourd’hui détenus par la puissance publique. «Une solution peut être trouvée si l’Etat propose à ces derniers une concession de ces terres, pour un projet de développem­ent agricole respectueu­x de l’environnem­ent comme ce qui s’est fait au Larzac à partir de 1981, à la suite de l’abandon des militaires», explique le journalist­e Olivier Nouaillas, auteur de La ferme aux 1000 terroirs (Ed. Chêne) et familier du dossier. L’Etat louerait les terres, comme le suggère le député européen vert José Bové: «Les activistes qui resteront témoignero­nt de leur volonté de reconstrui­re ce

territoire en lien avec les paysans et les élus locaux», explique-t-il.

Emmanuel Macron, lui, paraît aujourd’hui acquis à l’abandon. Le coût politique d’une poursuite controvers­ée du chantier, et d’une évacuation, deviendrai­t un boulet. Tandis que la promesse d’un agrandisse­ment de l’aéroport de Nantes lui vaudra la reconnaiss­ance des élites économique­s, et sera fidèle à sa conviction d’une France tirée par ses métropoles «mondialisé­es». Le référendum consultati­f de 2016 n’aura, alors, pas été totalement bafoué. Et le dynamique Grand Ouest, toujours rétif au centralism­e parisien et terre électorale favorable au mouvement En marche de l’actuel président, aura été écouté. Avec une question: que faire pour convaincre maintenant la population nantaise?

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(NNOMAN/ANADOLU AGENCY) En octobre 2016, lors d'une manifestat­ion d'opposants au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
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