Le Temps

Philippe Soltermann brûle les planches pour HubertFéli­x Thiéfaine

Le comédien romand déclare sa flamme au surréalist­e chanteur Hubert-Félix Thiéfaine, dans un seul-en-scène baptisé «J’arriverai par l’ascenseur de 22h43», en tournée romande après sa création à Yverdon

- OLIVIER HORNER

«J’arriverai par l’ascenseur de 22h43 et je demanderai ta main pour la couper…» De cette bizarrerie langagière est née une idylle sans faille. Cette chanson culte de Hubert-Félix Thiéfaine, HFT pour les intimes, extraite de l’album Tout Corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir (1978), a marqué Philippe Soltermann au fer rouge. Le comédien romand, alors âgé de 12 ans, découvre soudain un nouveau monde qui l’ouvrira à quantité d’autres territoire­s inspirants.

Compagnon d’infortune

D’une fascinatio­n pour une formule marquante naît une durable passion qui prend à présent la forme d’une obsession partagée seul en scène dans une création scénograph­iée par Lorenzo Malaguerra, par ailleurs directeur du Théâtre du Crochetan à Monthey. Philippe Soltermann évoque son admiration pour celui qu’il nomme son compagnon d’infortune: «La singularit­é de l’écriture de Thiéfaine m’a précocemen­t fasciné. Il utilise une quantité de langages et de références impression­nante, peut faire des citations en allemand, en anglais, en latin, en grec tout en utilisant un langage de rue, d’argot. Je lui suis redevable. Il m’a initié à la poésie, à l’histoire, à la philosophi­e. Ce n’est pas un professeur mais il a eu une fonction de médiateur culturel capital dans mon apprentiss­age, mon éducation.»

J’arriverai par l’ascenseur de 22h43, sous-titré «chronique d’un fan de Thiéfaine», se présente donc comme un hommage au chanteur, électron libre de la chanson rock francophon­e qui s’est forgé un répertoire aussi érudit que maudit et surréalist­e. Un rebelle à sa manière qui aime Ferré, Dylan, les Stones, la littératur­e américaine, les auteurs classiques (Plutarque, Sénèque, Cicéron, etc.) et nihilistes de tout poil. Un homme qui a vécu tant l’alcoolisat­ion précoce que l’apprentiss­age de la guitare en autodidact­e, le mal-être que le mutisme, les dérives parisienne­s au mitan des années 1970 que la naissance sur le pavé de ses trois premiers albums ainsi qu’une tardive reconnaiss­ance.

«L’idée du spectacle était de déclarer ma flamme de fan et de montrer l’importance qu’a pu avoir Thiéfaine dans ma vie. J’ai laissé de côté les souvenirs de concerts, trop anecdotiqu­es, pour me concentrer sur l’écriture de Thiéfaine et une mise en parallèle et en tension de sa vie et de la mienne, avec ses réels impacts sur mon quotidien», détaille Philippe Soltermann, 43 ans désormais qui, s’il n’a pas traversé une phase de mutisme comme son héros, a longtemps été bègue avant d’embrasser une carrière de comédien en 2002 en France avec le provocateu­r Je m’adapte, satire contant le quotidien d’un immigré suisse légal à Paris. C’est aussi «une manière de sonder l’irrationne­l de l’admirateur, insiste pour sa part Lorenzo Malaguerra. Ce qui m’intéresse ici, c’est de révéler la forme de folie, de fêlure, qui habite le fan dont la propre existence ne suffit pas pour se sentir exister.»

Fin décembre à Monthey, lors d’une répétition, il est justement question de cette dimension à trouver dans le jeu. Soltermann peine à trouver le ton adéquat qui montre le côté possédé du fan qu’il est et se fait trop interprète de son soliloque. Dans une mise en scène plus proche d’un concert rock que d’une représenta­tion théâtrale, il s’attelle à se fondre avec son obsession spectrale.

Camions de disques

«Pendant que Thiéfaine vendait des camions de disques, je vivais seul dans un studio au bord de la route. A cette époque, les journaux suisses parlaient de fonds en déshérence. Moi, je manquais d’argent, je fumais la nuit en regardant les faisceaux des phares des camions. Incapable d’amour, j’inventais des sentiments, je sortais avec des filles qui voulaient me faire signer des pétitions pour libérer le Tibet et je ne comptabili­sais plus les écoutes méditative­s de Thiéfaine.»

Et de citer quelques titres d’albums évocateurs du chanteur qui célèbre en 2018 ses quarante ans de carrière et dont il a reçu la pleine approbatio­n d’évoquer la trajectoir­e dans son seul-enscène: Autorisati­on de délirer, Tout Corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, De l’amour, de l’art ou du cochon, Scandale mélancoliq­ue, Défloratio­n 13, Supplément­s de mensonge, Soleil cherche futur, Dernières Balises (avant mutation)… Autant d’appellatio­ns qui, comme le dit Philippe Soltermann dans ce spectacle en forme d’introspect­ion, emportent

Une mise en scène plus proche d’un concert rock que d’une représenta­tion théâtrale

dans «un continent de références où coexistent à équidistan­ce Rimbaud, EdgarAllan Poe, Baudelaire, Diogène, Ferré, Annabel Lee, Hopper, Bergman, Charles Belle, Schopenhau­er, Shakespear­e, Nietzsche».

de Philippe Soltermann. Lausanne, Les Docks, jeudi 18 janvier; Monthey, Théâtre du Crochetan, jeudi 1er, vendredi 2 et samedi 3 février;

Nyon, Usine à Gaz, jeudi 8 et vendredi 9 février.

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(MEHDI BENKLER) J’arriverai par l’ascenseur de 22h43, Philippe Soltermann: «Thiéfaine m’a initié à la poésie, à l’histoire, à la philosophi­e.»

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