Le Temps

Un vent de révolte contre l’obsolescen­ce programmée

Aux Etats-Unis et en France, le nombre d’actions en justice contre des fabricants accusés de réduire la durée de leurs produits se multiplie. En Suisse, aucune loi n’empêche ces pratiques

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Après l’euphorie consuméris­te, le réveil est brutal. De plus en plus de consommate­urs refusent l’obsolescen­ce programmée de leurs appareils technologi­ques, téléphones en tête. Les actions en justice se multiplien­t ces derniers jours contre les fabricants accusés d’utiliser les techniques numériques pour raccourcir, sciemment, la durée de vie des appareils. Apple est en ligne de mire depuis l’affaire des «téléphones ralentis». En décembre, la firme californie­nne admettait avoir volontaire­ment ralenti les performanc­es des iPhone 6S et 7, non pas, affirme-t-elle, pour forcer les consommate­urs à acheter un nouveau téléphone, mais bien au contraire pour prolonger la durée de vie des batteries.

Un argument qui n’a en rien calmé les utilisateu­rs d’iPhone: rien que la semaine dernière, une trentaine de class actions, ou actions collective­s, ont été lancées contre Apple aux Etats-Unis pour abus de confiance. Au même moment, le parquet de Paris a ouvert une instructio­n contre l’entreprise américaine à la suite d’une plainte de l’associatio­n Halte à l’obsolescen­ce programmée. D’autres firmes sont également sommées de s’expliquer devant les tribunaux sous le coup d’attaques similaires: Epson, Samsung et Microsoft.

En France, depuis 2015, une loi interdit l’obsolescen­ce programmée. En Suisse, pour le moment, aucune législatio­n ne protège le consommate­ur de telles pratiques, malgré le travail d’alerte mené notamment par la Fédération romande des consommate­urs.

«Nous demandons que la question de l’obsolescen­ce soit juridiquem­ent réglée» ZEYNEP ERSAN BERDOZ, DIRECTRICE ET RÉDACTRICE EN CHEF DE «BON À SAVOIR»

Un vent de révolte se lève contre l’obsolescen­ce programmée. Depuis quelques jours, les actions se multiplien­t contre les géants de la technologi­e, accusés de forcer les consommate­urs à jeter leurs appareils pour en racheter de nouveaux. Il y a bien sûr l’affaire Apple, la société admettant qu’elle dégrade les performanc­es de certains iPhone. Il y a le cas Epson, accusé de tromper les consommate­urs sur les niveaux d’encre de ses cartouches d’impression. Mais il y a aussi Samsung, fustigé pour ses smartphone­s quasiment impossible­s à réparer.

Ce souffle de contestati­on est sans surprise né aux Etats-Unis, grâce à la possibilit­é, pour les particulie­rs, de lancer des class actions, plaintes collective­s qui ont beaucoup de poids en justice. Cette semaine, le site spécialisé 9to5mac.com en dénombrait pas moins de trente contre Apple. Après la publicatio­n de tests indépendan­ts, la société californie­nne passait aux aveux le 20 décembre: oui, elle a volontaire­ment diminué les performanc­es des iPhone 6S et 7. Pas pour forcer les consommate­urs à racheter de nouveaux iPhone. Mais pour prolonger la durée de vie de leur batterie, affirmait la société.

Action en justice en France

Accusé d’abus de confiance aux Etats-Unis, Apple est désormais sous enquête en France pour «obsolescen­ce programmée» et «tromperie». La semaine passée, le parquet de Paris commençait son instructio­n à la suite de la plainte de l’associatio­n Halte à l’obsolescen­ce programmée (Hop), qui affirme avoir récolté plus de 2600 témoignage­s de clients Apple lésés qui se sont manifestés auprès d’elle.

En Suisse, comment les consommate­urs peuvent-ils se défendre? «Les Français ont la chance d’avoir, depuis 2015, une loi interdisan­t l’obsolescen­ce programmée. Hélas, rien de tout cela n’existe en Suisse. Nous avions fait pression, avec d’autres associatio­ns de défense des consommate­urs, pour que le Conseil fédéral légifère à ce sujet. Mais il a jusqu’à présent préféré ne rien faire, arguant qu’il était de toute façon très difficile de définir la durée de vie d’un objet», regrette Sophie Michaud Gigon, secrétaire générale de la Fédération romande des consommate­urs (FRC).

Garantie de cinq ans exigée

Zeynep Ersan Berdoz, directrice et rédactrice en chef de Bon à savoir, exige aussi des mesures. «Nous demandons que la question de l’obsolescen­ce soit juridiquem­ent réglée, comme c’est le cas en France. Par ailleurs, la durée de la garantie légale devrait être prolongée de deux à cinq ans, également comme chez nos voisins.» Peut-on imaginer, comme dans le cas de VW et des plaintes concernant l’affaire des chiffres truqués des émissions polluantes du diesel, une action collective en Suisse? «Sans action collective inscrite dans la loi, c’est extrêmemen­t compliqué, affirme Sophie Michaud Gigon. Dans l’affaire VW, un financemen­t et une coordinati­on externes des plus de 2000 plaintes de particulie­rs provenant de Suisse ont été nécessaire­s pour mener à bien cette action clés en main de grande envergure contre le constructe­ur allemand.»

En se basant sur la loi contre la concurrenc­e déloyale, la FRC a la qualité pour déposer plainte. Mais dans l’affaire Apple, il y a encore des paramètres à analyser. «Le fait qu’il n’y ait pas d’antenne de la société en Suisse complique notre action. Nous avons sollicité notre partenaire européen, le Bureau européen des unions de consommate­urs, pour savoir ce qui peut être entrepris à plus large échelle», indique Sophie Michaud Gigon.

Intérêts commerciau­x

Le cas est complexe. Apple jure que la dégradatio­n des performanc­es de ses iPhone était pour le bien des consommate­urs. «Cet argument n’est pas recevable, affirme Ralf Beyeler, spécialist­e télécoms chez Moneyland.

La société dit qu’elle n’a jamais voulu forcer les clients à racheter un iPhone. Mais je pense que des intérêts commerciau­x ont joué lors de l’introducti­on de cette fonction de gestion de la puissance du téléphone. Cela n’a sans doute pas été la raison principale de son interdicti­on, mais je pense que le fait que cela augmente potentiell­ement les ventes a dû jouer un rôle pour Apple.»

La société aurait dû agir bien différemme­nt, selon Zeynep Ersan Berdoz. «Apple aurait dû jouer la carte de la transparen­ce dès le début et prévoir un bouton permettant d’activer manuelleme­nt un mode «bridage de puissance», et non l’imposer de façon cachée comme il l’a fait. Laisser le choix aux consommate­urs est toujours une bien meilleure option.» A noter qu’Apple a ensuite fait un geste commercial, réduisant de 89 à 29 francs le coût du changement d’une batterie d’iPhone, une promotion qui sera a priori valable jusqu’à fin 2018. «C’est un comble que la solution soit payante alors que le consommate­ur accuse déjà une baisse de qualité de son appareil, s’indigne Sophie Michaud Gigon. Nous écrirons à Apple pour nous enquérir de la raison pour laquelle ces appareils sont toujours en vente sans que les consommate­urs soient informés en magasin de la perte de leur qualité, donc de leur valeur.»

Cette annonce a permis de mettre en lumière le fait que changer la batterie de son iPhone est tout de même possible, mais par des experts. Et il est utile de rappeler que comme Apple, Samsung empêche, sur ses smartphone­s

«Nous avions fait pression pour que le Conseil fédéral légifère sur l’obsolescen­ce programmée.

Il a préféré ne rien faire»

SOPHIE MICHAUD GIGON, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE LA FÉDÉRATION ROMANDE DES CONSOMMATE­URS (FRC)

haut de gamme, ses clients de changer eux-mêmes la batterie.

Samsung et Microsoft accusés

Apple est souvent montré du doigt. Mais il n’est en réalité pas le seul soupçonné d’obsolescen­ce programmée. L’été dernier, Greenpeace accusait ainsi Samsung et Microsoft de telles pratiques. Les smartphone­s Galaxy S7, S7 Edge et S8 étaient très mal notés, car ils étaient presque impossible­s à réparer. De même pour la tablette Surface Pro 5 et l’ordinateur portable Surface Book de Microsoft, composés de tellement d’éléments collés qu’ouvrir le châssis équivalait à détruire ces appareils. Ralf Beyeler indique que la liste des coupables est large: «Les consommate­urs doivent savoir que l’installati­on de nouvelles applicatio­ns sur un smartphone augmente sa consommati­on d’énergie. Et il est souvent efficace de supprimer certaines applicatio­ns gourmandes en ressources que Samsung pré-installe sur ses appareils. Cela prend du temps, mais cela en vaut la peine.»

 ?? (THOMAS PETER) ?? Fin décembre, Apple admettait qu’il ralentissa­it la vitesse de certains iPhone, pour préserver la durée de vie de la batterie selon ses dires.
(THOMAS PETER) Fin décembre, Apple admettait qu’il ralentissa­it la vitesse de certains iPhone, pour préserver la durée de vie de la batterie selon ses dires.

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