Le Temps

Un monstre et une longue liste de coupables

Résister au marketing des fabricants n’est pas si difficile

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Un ingénieur anonyme qui découvre qu’une multinatio­nale dégrade volontaire­ment les performanc­es de ses appareils, vendus à des dizaines de millions d’exemplaire­s par an sur la planète. L’image est parfaite: impossible de trouver un cas d’obsolescen­ce programmée plus flagrant. D’autant que le fabricant – Apple – admet ses torts. L’affaire de ces derniers jours permet à la colère contre ces fabricants qui limitent la durée de vie de leur produit d’atteindre un point culminant.

Mais l’histoire n’est pas si simple. Si cette colère est légitime, elle est en réalité le fruit d’un mélange complexe de responsabi­lités. Prenons l’affaire des iPhone ralentis. Apple clame que c’est pour le bien des consommate­urs, car ce ralentisse­ment des performanc­es permet d’allonger la durée de vie de la batterie. L’argument est terribleme­nt alambiqué. Mais il a tout de même une once de crédibilit­é. Il sera extrêmemen­t difficile pour la justice française – qui vient de se saisir de ce cas – d’établir la vérité. Sauf si un collaborat­eur d’Apple vend la mèche ces prochains mois ou années, ce seront toujours deux versions de l’histoire qui s’affrontero­nt.

Le propos n’est pas ici de nier l’obsolescen­ce programmée, bien au contraire. Le phénomène est ancien – souvenons-nous du cartel de Phoebus, en 1924, dont les membres, des fabricants d’ampoules, avaient limité la durée de vie des filaments à 1000 heures. Et cette plaie a pris de l’ampleur avec l’explosion du nombre d’appareils électroniq­ues qu’il est si facile, pour leurs concepteur­s, d’affaiblir à l’avance du point de vue matériel. Mais aussi, plus tard et à distance, en envoyant des mises à jour qui fragilisen­t l’objet.

Les consommate­urs peuvent ainsi légitimeme­nt se sentir dépossédés du produit qu’ils achètent. Mais ils ne sont pas innocents non plus. Si l’on parle des smartphone­s, ils peuvent opter pour des produits facilement réparables, tel le Fairphone. Mais il est cher et ses performanc­es ne sont pas les meilleures du marché… Les consommate­urs peuvent aussi arrêter de changer de téléphone tous les 20 mois en moyenne. Résister au marketing des fabricants n’est pas si difficile. Et faut-il vraiment posséder le smartphone doté du meilleur capteur photo ou du système biométriqu­e le plus avancé?

Hélas, il y a là aussi un «mais»: les applicatio­ns et leurs mises à jour incessante­s imposent souvent d’avoir le système d’exploitati­on le plus récent… qui ne fonctionne que sur les téléphones de dernière génération.

L’obsolescen­ce programmée est ainsi un monstre qui se nourrit de plusieurs causes: la cupidité des fabricants, l’irresponsa­bilité de certains concepteur­s de logiciels et la faiblesse des consommate­urs. La lutte contre ce fléau doit se mener sur ces trois terrains.

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