Le Temps

«Quand la discussion s’enlise, je tranche»

Nuria Gorrite, la présidente du gouverneme­nt vaudois, trace les grandes lignes d’une nouvelle année politique où il s’agira de faire avec des rentrées fiscales moins généreuses. Elle revient sur la parole libérée des femmes

- PROPOS RECUEILLIS PAR AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

La conseillèr­e d’Etat socialiste Nuria Gorrite est la présidente du gouverneme­nt cantonal. Pour Le Temps, elle évoque sa manière de gouverner et analyse les grands dossiers qui marqueront l’actualité politique vaudoise en 2018.

Première femme à occuper la fonction de présidente du gouverneme­nt vaudois, la socialiste Nuria Gorrite fait face à une situation nouvelle. Elle se retrouve à la tête d’un gouverneme­nt à majorité de gauche, défié plus durement par une droite parlementa­ire vexée de n’avoir pas réussi à renverser l’équilibre des forces aux dernières élections. Les caisses des finances cantonales donnent aussi quelques signes d’essoufflem­ent au début de cette nouvelle législatur­e. Voilà qui pourrait compliquer la tâche d’une politicien­ne qui fut jusque-là souvent portée par des conjonctur­es favorables. Dans son bureau de la place de la Riponne, elle apparaît à la fois dans la gravité et l’importance du rôle, sans se départir de l’optimisme solaire qui est sa marque.

Alors que nombre de dossiers se décident désormais au niveau fédéral, le canton est-il encore une bonne taille pour gouverner? On entend le même discours de la part des communes vis-à-vis de l’Etat, et j’imagine que la Confédérat­ion dans ses relations internatio­nales dit la même chose. Mais l’échelon du canton a de vrais leviers d’action. Nous avons une marge de manoeuvre sur les insertions sociale et profession­nelle, sur les politiques culturelle, sécuritair­e, environnem­entale et de la mobilité, pour ne citer que cela.

Présidente, c’est plus de travail ou plus d’influence? Evidemment, je prends part à plus de représenta­tions qu’auparavant, j’ai une charge de travail additionne­lle liée au travail de la Chanceller­ie, à l’organisati­on des séances, à l’arbitrage entre collègues. Mais je dirais que ce qui a fondamenta­lement changé, c’est mon souci du collège. Je ne suis plus uniquement cheffe de mon départemen­t, je dois me préoccuper des dossiers de chacun de mes collègues. En cela, je me demande si le travail du collège ne serait pas simplifié si chacun de nous portait à tour de rôle ce souci du collectif durant la législatur­e. La présidence attribuée à une seule personne a des avantages, mais il m’arrive de penser que, dans l’équilibre du partage des responsabi­lités, un tournus serait intéressan­t. Fille d’ouvriers, forte personnali­té, origines au sud de l’Europe: que reste-t-il de Nuria Gorrite quand on accède à cette fonction? Il reste tout! C’est le regard des autres sur moi qui change, moi je ne change pas. Lorsque l’on devient président, on garde sa personnali­té. Mais vous avez la responsabi­lité de faire fonctionne­r l’ensemble. Lorsque la discussion s’enlise, il faut que je fasse la synthèse et que je tranche.

En 2018, quels seront les dossiers prioritair­es pour le canton? L’augmentati­on des subsides à l’assurance maladie et celle des allocation­s familiales entrent en vigueur en ce début d’année; nous aurons aussi l’introducti­on de la loi sur l’accueil de jour des enfants et de la loi sur le logement. C’est tout le dispositif d’interventi­on de l’Etat envers celles et ceux qui en ont le plus besoin. Sinon, dans les grands débats à venir, on attend que la Confédérat­ion se positionne sur la 3e révision du Plan directeur cantonal, ce qui nous permettra de sortir de cette période de moratoire. Au Grand Conseil, le débat sur la LATC (loi sur l’aménagemen­t du territoire et les constructi­ons) sera intéressan­t; j’espère qu’il ne reproduira pas le clivage constaté sur les soins dentaires, et qu’il permettra de forger des compromis. Pierre-Yves Maillard et Philippe Leuba renforcero­nt leur collaborat­ion avec les ORP et travailler­ont sur les mesures d’insertion profession­nelle pour les chômeurs de longue durée.

Les rentrées fiscales diminuent. Le canton de Vaud s’engage-t-il dans une législatur­e troublée par des finances qui ne seront plus aussi florissant­es? Les rentrées fiscales stagnent plus qu’elles ne diminuent. L’année dernière, de grosses difficulté­s s’annonçaien­t à l’horizon; aujourd’hui, les perspectiv­es économique­s sont plus encouragea­ntes, car l’économie suisse sait résister et la France fait souffler un vent un peu moins pessimiste. L’Etat a le rôle de venir apaiser les peurs et de travailler sur le climat d’insécurité. D’où la réforme fiscale des entreprise­s, qui amènera la stabilisat­ion dont les entreprise­s ont besoin. En parallèle, il faut que cette économie soit partagée par tous, c’est pourquoi ce programme de législatur­e est placé sous le slogan de la prospérité durable et partagée. Aimeriez-vous lier votre présidence à un dossier particulie­r ou à une réalisatio­n particuliè­re? L’idée même de laisser des traces derrière moi ne me séduit pas plus que cela. Mais j’aimerais mettre une bonne partie de mon énergie sur la stratégie numérique de l’Etat. Vaud est positionné sur un gisement de potentiels et a dans les mains la capacité de tracer une vision ambitieuse. Le rôle de l’Etat doit également se renforcer sur l’économie du partage, qu’il nous faut réglemente­r. Il n’est pas question que cette économie continue à dégager des bénéfices en évitant les impôts. J’aimerais aussi plancher sur le rôle des collectivi­tés publiques dans le financemen­t des formations continues. Ainsi que sur l’employabil­ité des femmes de plus de 50 ans: il y a un discours schizophrè­ne à vouloir repousser l’âge de la retraite des femmes alors que leurs difficulté­s d’insertion sont si grandes.

Au sujet de la première votation de la législatur­e en 2018, sur le remboursem­ent des soins dentaires, le Conseil d’Etat est ouvertemen­t divisé: est-ce un mauvais présage pour la suite? Ce n’est pas dramatique, nous ne sommes pas en déchirure. Affirmer de temps en temps une divergence sur un sujet peut être sain, le Conseil d’Etat survit à cela. Nous avions d’ailleurs unanimemen­t présenté un contre-projet, certes combattu par le parlement, mais c’était une volonté de notre part de trouver une solution.

Soutenir une initiative d’extrême gauche sur les soins dentaires, vous y croyez? Nous sommes l’un des pays de l’OCDE qui consacre le plus d’argent privé à ces soins. C’est donc un débat qui doit avoir lieu. Les frais dentaires peuvent plomber les finances d’une famille qui n’est pas forcément pauvre. C’est le dernier grand domaine de soins qui n’est pas couvert.

Fin 2017, les suites de l’affaire Weinstein aux Etats-Unis, et la libération de la parole féminine, ont eu des conséquenc­es jusqu’au parlement suisse. Et au parlement vaudois, tout va bien? L’affaire fédérale a été très commentée, et j’ai entendu ici ou là quelques députés faire ce genre de réflexions. J’espère que ce débat a amené les uns et les autres à s’interroger sur leurs propres comporteme­nts. Mais aucune situation de harcèlemen­t aussi importante que celle dénoncée sous la Coupole n’est apparue à ma connaissan­ce dans le canton de Vaud.

Ces affaires vont-elles durablemen­t changer les choses pour les femmes, ou s’agit-il seulement d’un effet de mode? Dénoncer son ou ses harceleurs est un acte très courageux, car une femme victime prend aussi le risque d’affaiblir son image. Nous avons toutes un jour ou l’autre été serrées de trop près, embrassées de manière trop insistante, avons subi des «gags» trop lourds… Le fait que le débat aille très vite ne vient pas d’une mode mais, au contraire, c’est une rencontre entre un thème et un moment. Ce qui me frappe le plus dans ce débat, c’est à quel point les hommes ont l’air de le découvrir. Est-ce que ce débat peut amener les hommes non seulement à s’interroger sur leurs propres comporteme­nts mais aussi à intervenir lorsqu’ils voient leurs congénères agir de manière déplacée? On est très loin du puritanism­e, on est dans l’affirmatio­n d’une égalité qui m’est chère.

«En 2018, le canton déploiera son dispositif d’interventi­on envers celles et ceux qui en ont le plus besoin»

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 ?? (CHRISTOPHE CHAMMARTIN/REZO) ?? Nuria Gorrite: «C’est le regard des autres sur moi qui change, moi je ne change pas. Lorsque l’on devient président, on garde sa personnali­té.»
(CHRISTOPHE CHAMMARTIN/REZO) Nuria Gorrite: «C’est le regard des autres sur moi qui change, moi je ne change pas. Lorsque l’on devient président, on garde sa personnali­té.»

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