Le grand retour des débrouillards
Le «do it yourself» convainc toujours plus de citoyens. Sur Internet ou via des ateliers qui fleurissent en Suisse, l’idée est d’apprendre à fabriquer les produits de notre quotidien, signe d’une volonté de repenser notre consommation en profondeur
Lessive, crème pour les mains, baume pour les lèvres, déodorant, barres de céréales: tous ces produits, Manon, 25 ans, ne les achète pas. Elle les fait elle-même. Cette Fribourgeoise en apprentissage d’agricultrice, diplômée en bio-ethnologie, fabrique aussi chaussettes et meubles en bois. Pour elle, le «do it yourself» (DIY) représente une philosophie de vie.
«Notre génération ne sait rien faire, on est totalement dépendants», regrette Manon. «Quand je regarde nos grands-parents, je me dis qu’ils savaient coudre, réparer.»
Ainsi, gagner en autonomie, «c’est remettre en question la société»: «Je ne veux pas que les multinationales décident pour moi. Savoir faire, c’est avoir un vrai choix: fabriquer ou acheter.» L’apprentissage s’est organisé petit à petit, «avec des ratés». Mais aujourd’hui, elle dit y gagner: «Fabriquer ma lessive me prend vingt minutes chaque six mois et me coûte 10 francs.» Et pour apprendre? Des livres, Internet, des rencontres, quelques cours.
L’offre d’ateliers liés au DIY est toujours plus grande. Si la forme contemporaine du mouvement vient de la communauté hippie américaine, elle a explosé sur le Net ces dix dernières années. En Suisse ont notamment fleuri les makerspaces et autres FabLab, espaces où des machines sont à disposition du public pour concevoir des objets. La Fédération romande des consommateurs a aussi lancé des repair cafés dans plusieurs cantons pour apprendre à réparer plutôt que jeter.
Nombre d’autres associations se sont aussi créées. C’est le cas de Do It Yourself Geneva, fondée en 2014. Sans but lucratif, elle organise chaque mois des ateliers de 2 heures pour 15 personnes au maximum, à un prix qui varie de 10 à 45 francs. Au programme: apprendre à faire ses remèdes naturels, ses pâtes ou encore sa lampe solaire. «Tous les domaines sont concernés, mais on se concentre sur les objets du quotidien», raconte Adeline Scherantz, cofondatrice de Do It Yourself Geneva. «Nous voulons donner aux gens l’envie de créer par eux-mêmes et de réfléchir à une consommation plus respectueuse de l’environnement.»
Les ateliers sont toujours complets. Pour Adeline Scherantz, le public a différentes attentes. Si pour certains il s’agit simplement d’un hobby, pour d’autres, c’est un moyen d’être moins passif dans ses actes de consommation: «On ne se contente pas de constater le réchauffement climatique, avec toutes les polémiques qui surgissent sur des produits au journal télévisé, on a une prise sur les événements.»
Comment expliquer un tel succès du DIY? «C’est le signe d’un manque de confiance du consommateur dans un système de production toujours plus globalisé», juge Marlyne Sahakian, professeure en sociologie de la consommation à l’Université de Genève. «Le consommateur veut se réapproprier certains domaines.» Si elle souligne l’enthousiasme que provoque le DIY, elle mentionne aussi ses limites: «Tout faire soimême implique du temps à disposition, ce n’est pas à la portée de tous. Et en Suisse, le travail domestique reste très féminin. Il ne faudrait pas que fabriquer soi-même ses produits ménagers représente une pression de plus pour les femmes.»
Autre point important, si l’impact écologique est moindre, il n’est pas égal à zéro: «Quand on prend de l’huile de coco pour faire soi-même sa crème, il ne faut pas oublier qu’elle vient de loin.» Mais la professeure en sociologie croit à l’avenir du DIY: «Notre monde est toujours plus global, numérisé et en mal de ressources. Nous ne sommes qu’au début de ce retour au savoir-faire.»
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