Le Temps

L’année 2018 s’inscrira-t-elle de nouveau sous le signe du bonheur financier?

- MICHEL LONGHINI DIRECTEUR GÉNÉRAL EXÉCUTIF PRIVATE BANKING, UNION BANCAIRE PRIVÉE

«Le bonheur, c’est le plaisir sans remords», disait Socrate. En ce mois de janvier 2018, ne boudons pas notre plaisir: rarement dans l’histoire des marchés financiers une année aura débuté sous des auspices à ce point favorables et avec une aussi bonne visibilité. Cet élan d’optimisme contagieux s’inscrit dans le prolongeme­nt des remarquabl­es performanc­es de l’année écoulée. Mieux, il est encouragé par une conjonctio­n de prévisions positives si insolentes qu’aucun nuage ne semble pouvoir se dessiner à l’horizon. Désavoués par les faits, les oiseaux de mauvais augure qui, en 2017, pronostiqu­aient une correction ont battu en retraite, et les investisse­urs qui ont manqué le train continuent de s’en mordre les doigts, tant le bull market semble avoir encore de beaux jours devant lui.

Aux Etats-Unis, où les actions sont à l’aube de leur neuvième année de progressio­n, le Dow Jones a crû de plus de 25% l’an passé, tandis que, pour la première fois depuis sa création en 1957, le S&P 500 s’affichait en hausse sur chacun des douze mois de l’année, s’appréciant au total de près de 20%. Reflet d’une confiance sans restrictio­n, le VIX, indicateur de la volatilité, dépasse de très peu une moyenne de 11 sur 2017, son plus faible niveau en un quart de siècle. Le reste du monde a pris sa part à ce millésime d’autant plus exceptionn­el qu’il a eu pour toile de fond une très grande stabilité obligatair­e. Ainsi, la bourse de Hongkong a bondi de plus de 35%, Tokyo a surpris avec 19% de hausse, tandis que l’Europe engrangeai­t ses meilleures performanc­es depuis 2013 et que l’indice MSCI des pays émergents s’envolait de 34%.

Rare unanimité

Quelle ombre pourrait aujourd’hui venir ternir ce tableau idyllique? Pour ainsi dire aucune, si l’on se fie à la plupart des stratèges, dont les prévisions sont d’une rare unanimité. Du côté de l’économie réelle, les paramètres sont tous au beau fixe, et le grand retour de la «Goldilocks economy» a même été proclamé aux Etats-Unis. Cette économie de conte de fées se caractéris­e par une croissance soutenue et une faible inflation, à l’image du porridge de Boucle d’or (Goldilocks), qui ne devait être ni trop chaud ni trop froid – autrement dit juste parfait. Partout dans le monde, les moteurs de la reprise qui se sont allumés en 2017 continuero­nt de tourner: le redémarrag­e du commerce mondial se confirme, les carnets de commandes des entreprise­s se sont regarnis, les créations d’emploi s’accélèrent, l’investisse­ment repart et la consommati­on se raffermit. Ainsi, en 2018, les grands blocs économique­s bénéficier­ont d’une accélérati­on synchronis­ée de la croissance, qui devrait atteindre 3,7% selon le FMI et l’OCDE.

Il existerait une certaine corrélatio­n entre la hausse des revenus et le niveau de bonheur, même si ce n’est de loin pas le seul facteur qui y contribue

Du côté des sociétés, les valorisati­ons flirtent certes avec des niveaux évocateurs des pics atteints lors de la bulle des «dotcom», et certains observateu­rs s’interrogen­t sur l’endettemen­t des entreprise­s les moins solides. Mais qui, dans le concert des analystes, s’en alarme vraiment? Sous l’effet de la bonne tenue conjonctur­elle et, aux Etats-Unis, de ce bonus inespéré que constituer­a la baisse du taux d’impôt des sociétés, les perspectiv­es de bénéfices n’en finissent plus d’être révisées à la hausse.

Monceaux de ouate

Pas d’appréhensi­on non plus sur le front monétaire, la normalisat­ion des politiques des banques centrales étant largement anticipée, alors même que la faible inflation retarde le calendrier des resserreme­nts. Quant aux risques exogènes, événements climatique­s extrêmes ou tensions géopolitiq­ues, 2017 a montré qu’ils pouvaient être absorbés sans heurts par les marchés financiers.

Lovée confortabl­ement dans les monceaux de ouate déversés par les banques centrales depuis la crise de 2008, la planète financière paraît aujourd’hui avoir atteint un état qui réunirait tous les ingrédient­s du bonheur financier et d’un bull market perpétuel.

Un courant de recherche s’est récemment développé – dans le cadre notamment de l’Institut de l’économie du bonheur fondé par M. Mangot – qui analyse les déterminan­ts économique­s du bien-être subjectif des individus. Il existerait une certaine corrélatio­n entre la hausse des revenus et le niveau de bonheur, même si ce n’est de loin pas le seul facteur qui y contribue. Les performanc­es de ces dernières années sur tous les actifs financiers et la progressio­n des prix de l’immobilier créent donc un environnem­ent propice au bonheur. Si l’on ajoute une volatilité au plancher, synonyme de faible perception du risque, une inflation limitée et un taux de chômage proche des plus bas dans beaucoup de pays, alors les investisse­urs sont certaineme­nt heureux en ce début d’année. Mais des nuances sont à apporter, et l’euphorie actuelle n’est pas forcément appelée à perdurer.

Difficile de rester heureux en 2018

En effet, la persistanc­e de cet état de bonheur dépend de deux facteurs difficiles à garantir pour 2018. Selon l’étude «Investor Happiness» de Merkle, Egan et Davies parue en 2014, en matière d’investisse­ment, le bonheur est conditionn­é par l’atteinte des anticipati­ons de performanc­e, elles-mêmes liées aux performanc­es passées. Or, vu la surperform­ance de 2017, il sera difficile de rester heureux en 2018. Par ailleurs, le sentiment de bonheur dépend aussi de la performanc­e de ses propres investisse­ments par rapport à ceux des autres. Ainsi, l’envolée des cryptomonn­aies ou de quelques titres technologi­ques en 2017 a eu tendance à relever les attentes de certains investisse­urs, frustrés de n’avoir pu surfer sur cette vague et déçus de la performanc­e de leurs portefeuil­les en dépit de progressio­ns très confortabl­es. Le bonheur financier sera donc sans doute plus difficile à atteindre en 2018, même si l’horizon semble dégagé.

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