Le Temps

«Hermès est aussi un horloger suisse»

En 2018, la filiale horlogère du groupe français n’ira pas à Bâle mais prend ses quartiers au SIHH, qui ouvre ce lundi. Guillaume de Seynes, sixième génération de la famille Hermès, raconte comment le sellier a acquis une légitimité horlogère

- PROPOS RECUEILLIS PAR VALÈRE GOGNIAT, PARIS @valeregogn­iat

Depuis son bureau, il voit tout Paris. Y compris la pointe de la tour Eiffel qui semble percer une épaisse couche de bruine. Mais, en ce début d'année, les yeux de Guillaume de Seynes sont plutôt tournés vers la Suisse. Dès ce lundi, le directeur général du pôle amont et participat­ion du groupe Hermès sera à Genève pour le Salon internatio­nal de la haute horlogerie (SIHH) aux côtés notamment des marques horlogères du groupe Richemont et de quelques indépendan­ts comme Audemars Piguet.

La Montre Hermès à Genève, c'est la première fois. Car, traditionn­ellement, la filiale du groupe de luxe coté à Paris allait présenter ses nouvelles collection­s de montres à Baselworld. Guillaume de Seynes, sixième génération de la famille Hermès et cousin des deux autres hommes forts du groupe (Axel et PierreAlex­is Dumas), explique qu'il s'agit d'une étape «logique» dans la montée en puissance horlogère d'Hermès.

Est-ce qu’Hermès rejoint le SIHH ou quitte Baselworld? Nous rejoignons le SIHH, sans aucun doute. Cela fait des années que l'on est en contact avec la Fondation de haute horlogerie, chez qui nous sommes par ailleurs adhérents. Nous étions à Bâle depuis 1995 et cette foire nous a permis de grandir dans le monde horloger et de gagner en importance. Mais, depuis, nos affaires ont évolué. A l'époque, nous réalisions 95% de montres quartz pour femmes. Nos volumes étaient plus importants, mais le prix moyen était beaucoup plus faible.

Aujourd’hui, vous vous positionne­z davantage sur le segment de la montre mécanique pour hommes. Est-ce que cette stratégie est incompatib­le avec Baselworld? Pas du tout. La collaborat­ion avec les équipes de la foire de Bâle a été très bonne. Elles ont été des partenaire­s loyaux qui nous ont donné, à trois reprises, les espaces dont on avait besoin pour grandir. Mais Hermès reste un acteur modeste dans le paysage horloger… et nous n'intéresson­s peutêtre pas tous les visiteurs de la foire.

Qu’est-ce qui vous attire à Genève? C'est une étape logique qui s'inscrit dans la stratégie que nous appliquons depuis une quinzaine d'années. En 2006, nous avons acheté 25% de Vaucher Manufactur­e [ndlr: les 75% restants sont aux mains de la Fondation de famille Sandoz]. Dès 2010, nous avons progressiv­ement repris l'intégralit­é du fabricant de boîtes Joseph Erard (Le Noirmont) et du fabricant de cadrans Natéber (La Chaux-de-Fonds). En fin d'année dernière, nous avons inauguré nos nouveaux locaux au Noirmont où nous réunissons ces compétence­s… Ces efforts ont payé puisque nous avons été reconnus par nos pairs en gagnant, en 2011 et en 2015, des prix au Grand Prix de l'horlogerie de Genève. Aujourd'hui, Hermès n'est plus seulement un groupe de luxe français mais est aussi un horloger suisse! Cette vitrine genevoise nous permet de dire tout cela à nos clients et à nos contacts presse.

Les efforts que vous mentionnez sont certes importants, mais vous continuez par ailleurs de vendre des montres à quartz à 1900 euros… Nous faisons de la belle horlogerie, pas forcément de la haute horlogerie. Par son faible encombreme­nt, le quartz permet une richesse de forme et une inventivit­é extraordin­aires. Avec des prix courant de 1900 à plusieurs centaines de milliers d’euros pour des montres métiers d’art, n’y a-t-il pas un risque de brouiller l’image de votre marque aux yeux de vos clients? C'est une vraie question. Mais nous avons dans cette maison la volonté de faire de la qualité à tous les prix. Dans la maroquiner­ie, nous vendons des sacs en crocodile qui prennent des heures à être fabriqués et dont les fermoirs sont en diamants mais également des sacs qui n'ont presque aucune couture faite à la main. Les écarts de prix (entre 1000 et 120 000 euros) sont similaires à ceux que l'on observe dans l'horlogerie. La création est forte et la qualité est là, alors c'est un exercice avec lequel nous sommes à l'aise. Nous n'avons de toute façon pas une politique de marketing de prix. Nos prix reflètent nos coûts et notre démarche de qualité. Nous sommes à l'aise pour expliquer cela à nos clients…

Est-ce qu’ils le comprennen­t? Avec les prix, nous n'avons pas de problème. En revanche, il est vrai que nous sommes parfois un peu frustrés que le consommate­ur masculin n'ait pas le réflexe Hermès quand il imagine s'offrir une belle montre mécanique. Mais cela est lentement en train de changer, notamment en Asie. Dans la montre, nous réalisons encore trois quarts de nos ventes grâce aux produits féminins. A l'échelle du groupe, le rapport est aussi en faveur des produits pour femmes (environ 60/40). Mais nous sommes très forts sur certains segments uniquement masculins – nous vendons par exemple chaque année 650 000 cravates…

Les montres ne représente­nt que 3% des ventes globales d’Hermès qui ont atteint 4,05 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de l’année 2017. Quels sont vos objectifs de croissance dans la montre? Je ne vais pas articuler de chiffres. Aujourd'hui, le groupe est dans une dynamique de croissance portée essentiell­ement par la maroquiner­ie (50% des ventes) mais, à long terme, l'horlogerie et la bijouterie vont continuer de jouer un rôle dans cette croissance. Notre ambition dans l'horlogerie est de favoriser cette croissance en profession­nalisant notamment notre réseau de distributi­on. Car il est bien plus difficile de vendre une montre mécanique qu'une cravate.

Vous détenez notamment 25% de Vaucher Manufactur­e, qui souffre notoiremen­t de surcapacit­é. Est-ce que cela vous inquiète? Oui, Vaucher a dû réaliser un plan de restructur­ation début 2016 [ndlr: 37 employés sur 150 ont été licenciés]. Il est vrai que nous avions peut-être vu un peu grand. Mais, avec la croissance folle du marché chinois, c'est un reproche que l'on peut faire à l'ensemble de l'industrie horlogère…

Est-ce que la situation de cette entreprise est stable ou un nouveau plan de départ est-il prévu? C'est une société qui aurait la capacité d'accueillir davantage de clients. Mais aucun plan de départ n'est aujourd'hui nécessaire.

La fin de 2017 aura été marquée par une explosion de la vente en ligne des produits horlogers. Comment observez-vous cette évolution? Nous sommes en ligne depuis 2001. Nous avons eu un site marchand avant même d'avoir un site sur l'entreprise. Nous n'avons jamais douté de l'importance de la vente de produits de luxe en ligne même si l'on remarque que cela fonctionne mieux avec certains produits (la soie, les parfums) qu'avec l'horlogerie. Nous sommes aujourd'hui dans un projet global de refonte de notre site pour le décliner bien davantage en version mobile.

Et du côté de la distributi­on physique? Le nombre de vos boutiques (317 à fin 2017) est stable et vous permet de réaliser 60% de vos ventes. Comment voyez-vous évoluer ce modèle? Sur nos marchés les plus importants (Europe, Amérique du Nord, Japon…) notre stratégie consiste à accroître la surface moyenne des magasins plutôt que leur nombre. Soit nous déménageon­s, soit nous achetons un étage supplément­aire. Pour que l'on puisse au mieux mettre en valeur la croissance récente de beaucoup de métiers chez nous (prêt-à-porter, chaussures, bijouterie…), nous avons besoin d'espaces importants (au moins 350 mètres carrés par boutique). En Chine, nous allons nous implanter dans de nouvelles villes. Et nous sommes encore totalement absents de l'Afrique.

Vous avez lancé en 2015 un bracelet Hermès pour l’Apple Watch. Que pouvez-vous nous dire de cette collaborat­ion? Ce partenaria­t a été une exception unique dans l'histoire de notre marque; jamais nous ne nous étions associés avec une autre entreprise et je crois d'ailleurs qu'il en va de même du côté d'Apple. Mais comme nous avons toujours envie de surprendre, cela nous convient bien. Le contact entre Apple et nous s'est fait par le biais d'un de leurs responsabl­es que nous connaissio­ns bien. Les produits sont vendus chez eux et chez nous simultaném­ent. De notre côté, nous avons observé un certain renouvelle­ment de nos clients. De jeunes femmes sont venues dans nos boutiques pour ce bracelet et cela leur a permis de découvrir Hermès.

Entre 2010 et 2014, le patron de LVMH, Bernard Arnault, a tenté sans succès de prendre le contrôle d’Hermès grâce à différente­s opérations boursières complexes. A l’interne, est-ce que cette histoire a changé votre manière de travailler? Depuis que nous sommes entrés en bourse il y a vingt-cinq ans, nos résultats sont publics. Et, puisque nous sommes sur le segment porteur qu'est le luxe, tout le monde a pu observer notre réussite financière assez spectacula­ire. Cela a donc pu susciter des convoitise­s… Mais on n'interrompt pas une chaîne de six génération­s en un claquement de doigts. Cette période délicate (2010-2014) n'a pas fondamenta­lement changé notre philosophi­e mais a renforcé les liens de notre famille [ndlr: qui détient deux tiers du capital]. Cela a peut-être aussi davantage cristallis­é notre volonté de poursuivre notre chemin de façon indépendan­te, ce qui est l'une des expression­s de la singularit­é de notre entreprise. Nous le savions, mais nous le réalisons encore davantage aujourd'hui.

«Nous sommes parfois un peu frustrés que le consommate­ur masculin n’ait pas le réflexe Hermès quand il imagine s’offrir une belle montre mécanique» «Nous avons eu un site internet marchand avant même d’avoir un site sur l’entreprise»

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(MARIA ZIEGELBOCK) Guillaume de Seynes: «Nous faisons de la belle horlogerie, pas forcément de la haute horlogerie.»

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