Le Temps

Le «Guardian» passe au tabloïd

- ERIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

La diffusion papier du quotidien britanniqu­e a reculé de 60% en dix ans, à 150 000 exemplaire­s. La nouvelle rédactrice en chef, Katharine Viner, a lancé un plan de redresseme­nt de trois ans.

Le quotidien britanniqu­e connaît un succès d’audience planétaire – deux de ses lecteurs sur trois sont hors du Royaume-Uni – mais est un gouffre financier. Il joue sa survie en comptant sur ses 300 000 donateurs volontaire­s

Trois ans avant le bicentenai­re de sa création, le Guardian passe ce lundi au format tabloïd, un symbole de la crise financière que traverse le quotidien britanniqu­e. Après le grand format de ses origines, puis depuis 2005 le format «berlinois» (le même que celui du Temps), le passage à cette petite taille sonne comme le glas de l’ère papier.

Le Guardian symbolise le paradoxe des journaux au XXIe siècle. En vingt ans, ce journal britanniqu­e de diffusion moyenne est devenu un succès planétaire, lu désormais par 150 millions de visiteurs uniques par mois sur Internet (moins que le Daily Mail et ses 230 millions de visiteurs uniques, mais plus que le New York Times).

L’échec financier de l’accès gratuit au site internet

Mais, dans le même temps, la diffusion papier du quotidien s’est effondrée de 60% en dix ans, à 150000 exemplaire­s. Ses finances sont dans un état déplorable: le groupe a perdu 45 millions de livres (60 millions de francs) l’an dernier (avril 2016 à mars 2017), après un gouffre de 69 millions de livres l’année précédente. Son choix de laisser l’accès au site entièremen­t gratuit a creusé un trou béant. «Le modèle économique (de la publicité sur Internet) est en train de s’effondrer», reconnaiss­ait en novembre Katharine Viner, sa rédactrice en chef, dans une longue tribune sur les valeurs du journal.

Son prédécesse­ur, Alan Rusbridger, aux commandes de 1995 à 2005, avait été une sorte de visionnair­e borgne. Visionnair­e parce qu’il a su prendre le virage d’Internet très tôt, utilisant le fait que le journal soit en anglais pour l’imposer bien au-delà de ses frontières: aujourd’hui, deux lecteurs sur trois vivent hors du Royaume-Uni.

Un trust pour éponger les pertes

La marque se veut porte-drapeau mondial des valeurs «progressis­tes», lue par une certaine jeunesse urbaine de gauche de New York à Melbourne en passant par Londres. Mais son approche était borgne, laissant de côté l’aspect financier, pariant sur le fait que la publicité sur Internet renflouera­it un jour les caisses. Sa seule entorse à la gratuité était une offre «premium» pour l’applicatio­n sur téléphone portable. Ça n’a jamais suffi.

En partie, le Guardian pouvait se le permettre: son seul et unique actionnair­e est un trust créé en 1936, que personne ne peut acheter ou vendre, dont la seule mission est de «garantir l’indépendan­ce financière et éditoriale du Guardian à perpétuité». Celui-ci est à la tête d’un pactole de 1 milliard de livres (1,3 milliard de francs), dont les intérêts annuels permettent d’éponger quelques millions de pertes chaque année. Mais cela ne suffit pas face à l’hémorragie financière actuelle.

En 2016, la nouvelle rédactrice en chef, Katharine Viner, a donc lancé un grand plan de redresseme­nt de trois ans. Objectif: atteindre l’équilibre financier opérationn­el pour l’année d’avril 2018 à mars 2019. Un guichet de départs a permis de supprimer trois cents emplois, dont une centaine dans la rédaction (sur sept cents). De nombreux contrats de sous-traitance – informatiq­ue, transports, etc. – ont été renégociés. Le passage au format tabloïd, qui permettra d’économiser «plusieurs millions par an», relève de cette logique. L’impression du quotidien sera désormais sous-traitée à Trinity Mirror, la maison mère du tabloïd Daily Mirror.

Appel aux dons entendu

Au-delà des mesures d’économies, le Guardian a besoin de nouveaux revenus. Faute de ventes du journal papier, le journal a décidé d’instaurer un système de contributi­ons volontaire­s. Sur son site, il appelle les lecteurs aux dons, au nom «du journalism­e indépendan­t, de qualité et d’investigat­ion». Plus de 300000 personnes ont déjà versé une somme unique, et le même nombre a accepté de payer une contributi­on mensuelle, dont le montant est libre. Flou, le groupe refuse cependant de révéler les recettes que cela représente. Il assure simplement que les pertes opérationn­elles devraient être réduites à environ 25 millions de livres (33 millions de francs) pour l’année en cours (avril 2017 à mars 2018), avant de revenir – en principe – à l’équilibre l’année suivante.

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(SUZANNE PLUNKETT/REUTERS)

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