Le Temps

John Buscema, le Michel-Ange des comics

- ROMAIN MEYER Big John Buscema, Florentino Flórez traduit de l’anglais par Jacques Collin, Urban Comics, 328 pages.

Un bel ouvrage rend hommage à John Buscema, l’homme qui a contribué à faire des super-héros américains des icônes de la pop culture

Le trait vif, agile et élégant, viril même, une connaissan­ce de l’anatomie saillante, un dynamisme aux allures de mouvement perpétuel et des visages autant sensuels qu’expressifs: le style de John Buscema est aussi reconnaiss­able qu’indissocia­ble des débuts de l’univers Marvel (les Avengers, le Surfer d’Argent, puis Wolverine…). Il est également celui qui transposa le mieux Conan le Cimmérien des romans à la bande dessinée, donnant par là même visibilité et pérennité au personnage et peut-être aussi à son auteur, Robert E. Howard. Pas mal pour un artiste qui trouvait les comics «nuls» et qui n’aimait pas les dessiner. Un livre imposant signé Florentino Flórez lui rend les hommages dus à son rang, celui d’une légende du neuvième art.

Issu d’une famille d’origine sicilienne, Giovanni Natale Buscema vit une enfance difficile mais agréable à Brooklyn, où il est né en 1927. Très vite, il tente de dessiner Popeye, puis passe à la vitesse supérieure: à la bibliothèq­ue du quartier, il passe ses journées à recopier Michel-Ange, comme une obsession, ce qui le conduira à fréquenter pendant cinq années les Beaux-Arts. Sans succès. Il voulait devenir peintre, il sera dessinateu­r de comics. Un certain Stan Lee le contacte en 1948 pour l’intégrer à l’équipe de Timely Comics, futur Marvel. Comme pour tous les dessinateu­rs de l’époque, il importe de produire, selon l’envie du temps et des lecteurs, des récits de guerre, du western, des polars, de la romance ou des adaptation­s de films. Il entraîne là ce qui constituer­a l’une de ses caractéris­tiques, qu’il partage avec Jack Kirby et le Japonais Osamu Tezuka: la rapidité de conception et de réalisatio­n d’une planche. John Buscema en sortait deux à quatre par jour…

A l’école de la pub

Si Hal Foster (Prince Valiant) et Alex Raymond (Flash Gordon) comptent parmi ses influences majeures pour le trait, c’est un long passage dans la publicité, entre 1960 et 1966, qui développe son sens du récit. Sa narration en sortira transformé­e, plus incisive, plus variée. Alliée à sa maîtrise de l’anatomie du corps humain, à sa capacité de le mettre en mouvement et de rendre les expression­s du visage, elle fera de chacune de ses pages un moment de puissance et d’émotion. L’histoire est en marche et elle commence par un retour chez Marvel. Entre-temps, Stan Lee avait redynamisé les super-héros, tombés en désuétude après la Deuxième Guerre mondiale, en créant Spider-Man, les X-Men, les Quatre Fantastiqu­es ou les Avengers. Le genre est relancé et John Buscema devient l’un de ses principaux piliers, presque malgré lui.

Il s’emploie à redéfinir chaque personnage dont il hérite, laissant certaines des pages les plus emblématiq­ues du comics des années 1960 et après, que l’on pense à son interpréta­tion toute en humanité de la Vision, à la confrontat­ion du Silver Surfer et du diable version Marvel ou encore au Madripoor sans foi ni loi de Wolverine. Pourtant, c’est le personnage de Conan qui lui conviendra le mieux. Il hérite du titre en 1973, après le départ d’un futur grand, Barry Windsor-Smith, et en dessine plus de 200 histoires. Avec Roy Thomas au scénario, le Cimmérien se transforme en un colosse au bon sens instinctif, adoptant alors un ton et une scénograph­ie plus adultes. Peut-être les plus belles pages de Buscema, artiste de caractère qui nous quitta en 2002.

L’ouvrage de Flórez, s’il a parfois le ton de l’admirateur plus que du biographe, vaut particuliè­rement par la richesse de son iconograph­ie, contenant de nombreuses illustrati­ons rares. Un livre à la hauteur du Michel-Ange des comics, de celui qui donna un coeur à la production de masse, qui fournit une âme à ces personnage­s populaires et qui, en compagnie de quelques autres, révolution­na un genre voué d’abord à être jeté après consommati­on.n

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(LDD) Avec son style reconnaiss­able, sa connaissan­ce de l’anatomie et sa rapidité d’exécution, John Buscema a dessiné quelques-unes des plus belles planches de l’univers Marvel.

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