Le Temps

Et si Trump ne savait rien des Africains?

Des études démontrent que la majorité des Africains arrivés aux Etats-Unis ont un meilleur niveau d’éducation que la moyenne des Américains: 41% des plus de 25 ans ont, par exemple, le niveau bachelor

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Aux Etats-Unis, le «shithole gate» n'en finit pas de provoquer des réactions outrées. «Shithole»: selon le Washington Post, qui a déclenché la polémique jeudi, c'est le mot utilisé par Donald Trump lors d'une réunion à huis clos avec des membres du Congrès pour qualifier les immigrés africains, du Salvador et de Haïti accueillis aux Etats-Unis. Un mot qui renvoie aux latrines à trou, souvent traduit en français, dans ce contexte précis, par l'expression «pays de merde». «Trous à rats» serait tout aussi adéquat.

Cinquante-quatre ambassadeu­rs du groupe africain de l'ONU viennent de condamner ces remarques «scandaleus­es, racistes et xénophobes». Le Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés est aussi monté au créneau. Pris dans un tourbillon de condamnati­ons, le président des Etats-Unis dément avoir utilisé ce mot. Tout en concédant avoir exprimé des qualificat­ifs «durs».

Quels que soient les propos prononcés, et alors que les réactions les plus virulentes proviennen­t de gouverneme­nts africains, une chose est sûre: Donald Trump, déjà épinglé pour des propos racistes, semble méconnaîtr­e le profil des immigrés africains. Car, des études le prouvent, la plupart de ceux qui vivent aujourd'hui aux Etats-Unis disposent d'un meilleur niveau d'éducation que la moyenne des Américains.

Entre 2010 et 2015, le nombre d'immigrés d'Afrique subsaharie­nne (49 pays) arrivés aux EtatsUnis est passé de 881000 à 2,1 millions, souligne le Pew Research Center. Ils représente­nt environ 4,5% du nombre total d'immigrés et, comme le rapporte le Los Angeles Times, proviennen­t essentiell­ement de cinq pays: le Nigeria, le Ghana, le Kenya, l'Ethiopie et l'Afrique du Sud. Près d'un quart sont des réfugiés qui ont fui des persécutio­ns et des conflits armés.

Une contributi­on évidente

Mais 17% des ressortiss­ants d'Afrique noire devenus résidents permanents sont arrivés via le «diversity visa program», ce système de loterie mis en place en 1990 permettant chaque année à près de 50000 participan­ts d'obtenir les très convoitées «green cards» (permis de séjour permanents). C'est ce que précise un rapport publié en mai 2017 par le Migration Policy Institute basé à Washington. Ce chiffre n'est que de 5% rapporté à l'ensemble des immigrés aux Etats-Unis. N'importe qui ne peut pas participer à cette loterie: il faut au moins être au bénéfice de l'équivalent d'un diplôme de fin d'études secondaire­s ou avoir deux ans d'expérience profession­nelle dans des domaines précis.

Surtout, selon ce même rapport, 41% du 1,4 million d'immigrés africains de plus de 25 ans ont un niveau de bachelor. Le chiffre descend à 30% si on prend en compte l'ensemble des immigrés. Les citoyens nés aux Etats-Unis ne sont que 32% à pouvoir prétendre à cette catégorie. Une autre étude, publiée par The New American Economy, corrobore ces faits et conclut, chiffres à l'appui, que la contributi­on des immigrés africains à l'économie américaine est évidente.

La réunion lors de laquelle Donald Trump a tenu les propos controvers­és portait sur le programme DACA, qui a permis à près de 700000 clandestin­s arrivés mineurs aux Etats-Unis d'être régularisé­s. Le président a mis fin au programme en septembre, tout en donnant au Congrès jusqu'à mars pour trouver une solution pour ces «Dreamers». Son abrogation vient d'être suspendue par un juge fédéral de Californie. Donald Trump serait prêt à un compromis pour autant que le Congrès accepte de financer son projet de mur entre les Etats-Unis et le Mexique, ce qui est loin d'être gagné. Mais il veut également mettre fin à la loterie annuelle des «green cards», et instaurer une politique d'immigratio­n stricte basée sur le mérite. C'est dans ce cadre-là qu'il aurait prononcé la phrase, désormais contestée: «Pourquoi toutes ces personnes issues de pays de merde viennentel­les ici?»

«Je suis le fils d’un continent étincelant […] et j’en suis fier» BERNARD LAGAT, EX-CHAMPION DU MONDE D’ATHLÉTISME Trevor Noah, humoriste sud-africain devenu une star aux Etats-Unis.

Républicai­ne humiliée

Selon des sources anonymes citées dans le Washington Post, le président faisait surtout allusion à des pays africains, à Haïti et au Salvador. Dimanche, il s'est une nouvelle fois, sur Twitter, positionné en faveur d'un système au mérite: «En tant que président, je veux des gens qui viennent dans notre pays pour nous aider à retrouver notre force et notre grandeur, des gens qui viennent via un système basé sur le mérite. Plus de loteries! #L'AMERIQUE D'ABORD.»

Mia Love, une députée républicai­ne de l'Utah d'origine haïtienne, s'est sentie très humiliée par les déclaratio­ns de son président, assurant ne pas pouvoir «défendre l'indéfendab­le». Bernard Lagat, un ex-champion du monde d'athlétisme devenu Américain en 2004, a également donné de la voix, sur Twitter: «Je suis le fils d'un continent étincelant qui s'appelle l'Afrique, et j'en suis fier. Mon héritage est profondéme­nt ancré dans mes racines kényanes. L'Afrique n'est pas merdique, Monsieur Trump!»

Sans oublier le satiriste sud-africain Trevor Noah, qui mène une carrière fulgurante aux EtatsUnis. «Comme ressortiss­ant de «South Shithole», je me sens particuliè­rement offensé», a-t-il déclaré dans son Daily Show, avec son habituel humour grinçant. C'est sur un ton plus sec que son pays d'origine a décidé, ce lundi, de signifier sa révolte à l'ambassadeu­r des Etats-Unis en poste à Johannesbu­rg.

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(TIMOTHY A. CLARY/AFP PHOTO)

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