Le Temps

Reconstrui­re la paix avec toutes les strates de la société

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Installée à la Maison de la Paix à Genève, Interpeace s'est vu octroyer lundi par le Conseil fédéral le statut d'organisme internatio­nal. Une manière de récompense­r une organisati­on qui a une expertise unique

Installée à la Maison de la Paix à Genève, Interpeace prend du galon. Lundi, le Conseil fédéral lui a octroyé le statut d'organisme internatio­nal. Spécialisé­e dans les processus de paix, cette associatio­n de droit suisse méconnue créée par l'ONU en 1994 a oeuvré jusqu'ici en qualité d'organisati­on non gouverneme­ntale hybride. Son directeur, Scott Weber, s'en réjouit: «C'est une reconnaiss­ance de la Suisse pour le travail que nous accompliss­ons en faveur de la paix. La Confédérat­ion nous a soutenus dès le début.» Le nouveau statut ne conférera pas l'immunité ou des privilèges diplomatiq­ues. Il lui sera surtout utile pour obtenir des permis de travail.

Le statut d'organisme internatio­nal peut être accordé à une organisati­on qui ne découle pas d'un traité internatio­nal, mais qui joue un rôle important sur la scène internatio­nale. En 2007, Berne a souhaité flexibilis­er sa loi sur l'Etat hôte afin de permettre à diverses organisati­ons comme le Fonds global pour le sida, Gavi, le Forum économique mondial ou le CIO d'obtenir certains des avantages accordés par la Suisse aux organisati­ons internatio­nales implantées à Genève et ailleurs dans le pays. «Ce statut nous permettra d'avoir davantage d'influence sur le terrain pour instaurer la paix. Nous serons aussi plus à même d'attirer des talents, car la paix, c'est finalement un travail d'individus qui coopèrent pour la bonne cause», poursuit Scott Weber.

Un travail permanent à trois niveaux

Active dans vingt pays surtout d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Amérique centrale avec 80 collaborat­eurs dans le monde dont une petite vingtaine à Genève, travaillan­t avec plus de 300 partenaire­s et dotée d'un budget de 25 millions financé surtout par des gouverneme­nts (européens), Interpeace a sa vraie spécificit­é. «Nous travaillon­s selon un modèle propre que nous appelons T6, explique Alexandre Munafò, responsabl­e de l'engagement global. T6 décrit la méthode d'Interpeace consistant à travailler à trois niveaux en permanence: au niveau de la diplomatie officielle avec les acteurs d'un conflit, gouverneme­nts, chefs de groupes rebelles, etc. (Track 1), avec la société civile, des laboratoir­es d'idées, des personnes influentes de la société (Track 2), et enfin avec la population (Track 3).»

«Le principal défi après un conflit tient à un mot, la confiance»

SCOTT WEBER, DIRECTEUR D’INTERPEACE

«Depuis la fin de la guerre froide, les conflits ont beaucoup changé, explique Scott Weber. On est en présence de pouvoirs éclatés comme en Somalie ou en Libye. Dans un tel contexte, on peut reconstrui­re un Etat de façon durable et légitime surtout en commençant par le bas, avec la population. Car le principal défi après un conflit tient à un mot, la confiance, qu'il importe de rétablir à tous les niveaux.» Pour Interpeace, jouer à ces trois niveaux est un avantage, car nombre de processus de paix sont souvent bloqués au niveau des principaux acteurs (Track 1) et la seule manière de les débloquer est d'agir aux deux autres niveaux.

Une approche essentiell­ement locale

Interpeace ne parachute aucun médiateur extérieur pour tenter de réconcilie­r les acteurs d'un conflit. Elle se contente de faciliter le processus en proposant une méthodolog­ie et un appui stratégiqu­e. L'approche doit être avant tout locale. «Ce ne sont pas des acteurs extérieurs qui résoudront le problème des Somaliens, des Libyens ou des Colombiens», prévient le directeur de l'organisati­on. Scott Weber juge essentiel d'aider les parties à un conflit à identifier précisémen­t le problème qui les divise. «Ce n'est qu'une fois qu'on a abordé toutes les facettes du problème qu'on pourra agir sur les solutions.»

A Chypre, Interpeace coopère étroitemen­t avec Seed, Centre for Sustainabl­e Peace and Democratic Developmen­t, un organisme composé de représenta­nts chypriotes grecs et turcs. Au Mali, il y a bien un processus officiel (Track 1) portant le nom de «processus d'Alger». Mais pour favoriser un processus plus inclusif et plus solide, Interpeace s'appuie sur l'Institut malien de recherche-action pour la paix, capable de travailler dans 19 langues et d'appréhende­r mieux que personne la complexité du contexte malien. Cette «inclusivit­é» dans un processus de paix est particuliè­rement importante quand elle touche à des sociétés où le tissu social s'est déchiré. Au Mali, les rapports entre les forces armées qui représente­nt l'Etat et la population sont mauvais. La confiance est rompue. C'est là qu'intervient Interpeace.

L'organisme internatio­nal travaille aussi dans les pays développés. Il mène un projet en Suède. Précisémen­t à Tensta, dans la banlieue nord de Stockholm. A quinze minutes du Ministère suédois des affaires étrangères, l'immigratio­n y est très forte. De Somalie, d'Eyrthrée ou du MoyenOrien­t. Après des violences, les tensions sont fortes. Interpeace s'engage à restaurer la confiance entre les immigrés qui se sentent exclus et la population locale.

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