Donald Trump, acte deux
La deuxième année de Donald Trump à la Maison-Blanche commence comme une fiction. Il n’est plus le président d’un grand pays de 325 millions d’habitants en quête d’un vivre-ensemble grave et compliqué, mais le personnage principal d’un roman-feuilleton mondial envoûtant: que peut-il arriver d’un puissant en train de perdre la raison? Ce qu’on apprend du président par ses tweets, par les chuchotements de son entourage, par les enquêtes et révélations de la presse a pour effet de l’extraire de la réalité. Car où est le vrai quand un comportement présidentiel diverge à ce point de la norme?
La scène se joue entre une institution sacrée, la présidence, et un homme ordinaire, Donald Trump. Les faits et gestes de l’homme étant trop incroyables pour appartenir à l’institution, on échappe à la gravité de la situation par le divertissement, grâce à cette ressource du théâtre qui consiste à se laisser conduire d’acte en acte vers le dénouement. Toutes les pièces ont un dénouement, c’est leur magot. On l’attend au fil de l’histoire avec la gamme des émotions, anxiété, irritation, ennui, enthousiasme, etc.
Je passe des heures à barboter dans les détails croustillants de la présidence trumpienne, à suivre les polémiques et commentaires subséquents. Je note l’effet d’attraction qu’ils ont sur moi: plus j’en sais, plus ma curiosité me pousse à vouloir en savoir encore davantage, et plus le caractère «incroyable» de ce que je lis m’éloigne des Etats-Unis réels. Je suis transposée dans un pays de cinéma, avec une Maison-Blanche en carton où se déroule une intrigue fascinante qui a un début et qui aura une fin, mais quand? Je me range du côté des siffleurs pour qu’elle soit proche, mais j’écoute le choeur des experts qui m’invitent à la prudence. Le billet est valable quatre ans, jusqu’en 2020.
Contrairement à la première année d’un président indécent mais pardonnable au moins par son camp sous prétexte d’apprentissage, 2018 se place dans l’évidence de son échec au CFC (certificat fédéral de capacité), avec même un soupçon de dérèglement mental exprimé dans son propre entourage. Aucune des générations vivantes de la planète n’a connu pareille expérience sur le sol des Etats-Unis. Les dirigeants dingos sont légion dans le monde, mais ils n’ont pas «le plus gros bouton nucléaire». Pour dangereuses ou fâcheuses qu’elles soient, les formes régionales de la démence politique n’enclenchent pas forcément une chaîne d’événements mondiaux dévastateurs. Tandis que la centralité américaine, effective ou fantasmée, confère au drame son atmosphère: c’est Rome qui brûle sous l’allumette de l’empereur en personne. Sauf que l’incendie ne déboulonne pas l’empereur, preuve que les flammes sont en plastique, l’empereur en caoutchouc, les pompiers en pâte de gomme et Rome en plâtre.
Comme beaucoup, j’adhère spontanément à l’idée que ce qui n’est pas possible n’est pas vrai. J’ai la chance de ne jamais eu à devoir faire face personnellement à un impossible devenu vrai. La guerre de George W. Bush en Irak était possible. Elle a eu lieu sous le couvert d’un paquet de raisonnements en apparence compatibles avec le cadre institutionnel des Etats-Unis. Elle a été catastrophique mais dans l’ordre du réel.
Tandis que les injures de Donald Trump contre tout le monde, son ignorance avérée, ses moeurs domestiques, ses façons d’être en général défient tout raisonnement, sauf à croire qu’elles visent délibérément à détruire la Maison-Blanche, mais c’est trop gros pour y croire. Quelques analystes s’y risquent pourtant, inquiets pour la démocratie. De bons livres explicitent les enjeux ou les failles de la république américaine. Ils contribuent à renforcer le suspense de la pièce: qui, à la fin, de la norme ou du président, l’emportera? Est-ce lui ou la démocratie qui s’en ira? Au théâtre, la possibilité du pire est souvent là pour que s’invente la manière de l’éviter.
Prochaine scène, Davos, en Suisse.
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