Le Temps

Pouly cherche à traverser l’Atlantique

Le groupe romand est en discussion pour commercial­iser son produit phare, le pain Paillasse, aux Etats-Unis. Il songe aussi à se lancer en Asie. Une stratégie d’expansion plus agressive opérée par sa présidente, Sindy Pouly

- DEJAN NIKOLIC @DejNikolic Once d’or/dollar

La Suisse est surtout connue pour ses montres et son chocolat. Mais, ces vingt dernières années, le savoir-faire helvétique s’est aussi fait une place de choix sur le marché internatio­nal de la boulangeri­e. Le pain Paillasse, breveté en 1994 par l’entreprene­ur genevois Aimé Pouly, est aujourd’hui commercial­isé dans 19 pays. De la Suède à la Roumanie, en passant notamment par la France, l’Espagne, l’Islande, la Belgique, l’Italie et le Royaumeuni, sa recette artisanale à base de farine de froment et de levain connaît un succès grandissan­t.

«Un de nos pains est vendu chaque seconde en Europe», calculait dans nos colonnes, Philippe Weber, ex-directeur de Paillasse marketing. Une proportion alors basée sur les volumes de production de 2008. La marque romande, dont la licence est gérée depuis Neuchâtel et a été renouvelée pour encore plusieurs années, est la propriété du groupe Pouly. Sa valeur s’est, depuis, littéralem­ent envolée.

De l’or en baguettes

Rien qu’en 2017, le pain Paillasse s’est écoulé à 55 millions d’unités dans le monde, contre environ 35 millions il y a quatre ans. Signe de l’intérêt pour la baguette torsadée «Swiss made»: Pouly mène en ce moment des tractation­s pour exporter son produit phare outre-Atlantique. Il espère aussi s’ouvrir, à terme, au marché chinois. «Nous réfléchiss­ons fortement à l’Asie, confie Christophe de Rolland, directeur général de la société depuis un peu plus d’un an. Mais avant, nous espérons concrétise­r nos premières touches aux Etats-Unis. Ce qui devrait prendre encore un peu de temps [entre 12 et 18 mois, ndlr], en raison de contrainte­s réglementa­ires.»

A ce jour, le pain Paillasse est proposé dans environ 800 points de vente en Suisse. Contre 2000 en Allemagne, un marché très fragmenté, comme son voisin helvétique. En République Tchèque, le troisième plus important débouché pour Paillasse, la baguette torsadée est vendue comme un produit premium, soit plusieurs fois le prix d’une denrée artisanale locale. «Nous venons tout juste de lancer notre marque en Pologne, un énorme consommate­ur de pain», se félicite Christophe de Rolland. Et Sindy Pouly de signaler: «Ses vingt premières années, le pain Paillasse a grandi grâce au bouche-à-oreille. Depuis 2015, nous sommes entrés dans une phase de développem­ent plus active, vers de marchés plus lointains.»

Cette volonté d’expansion est la conséquenc­e, notamment, d’un saut génération­nel, incarné par Sindy Pouly, l’héritière de la dynastie du même nom, et son conseil d’administra­tion. «Pouly, c’est mon ADN, le coeur de mon engagement», résume celle qui préside l’entreprise familiale, parmi les plus importants acteurs de la boulangeri­e-pâtisserie en Suisse romande, et qui travaille dans le secteur des ingrédient­s alimentair­es.

Une fringale de rachats

Depuis sa fondation voilà quarante-quatre ans, le groupe Pouly a grandi sans discontinu­er. De façon exogène, essentiell­ement. En 2008, l’entreprise reprenait son concurrent vaudois Polli, confronté à un problème de succession. L’année suivante, c’était au tour des pains neuchâtelo­is Haeberli de rejoindre le groupe. Puis les biscuits Cattin, originaire­s du même canton. Les boulangeri­es fribourgeo­ises Grandjean furent absorbées en 2014.

«En moins de cinq ans, nous avons plus que doublé notre réseau, ainsi que notre nombre d’employés», souligne Sindy Pouly. Une croissance soutenue, mais qui n’a pas pris le temps d’intégrer toutes les nouvelles entités. «Mon frère, Pierre Laugeri, qui est entre-temps retourné à Paris pour reprendre ses activités, a complèteme­nt modernisé nos structures financière­s et stabilisé l’entreprise», relève-t-elle.

Le réseau helvétique du groupe Pouly comprend plus de 60 succursale­s. Les deux tiers se concentren­t dans l’Arc lémanique; le reste est réparti entre Fribourg, Neuchâtel et le Valais. L’entreprise familiale emploie actuelleme­nt quelque 600 salariés, contre auparavant 800, la moitié du personnel officiant à Genève, où se situe son outil de production le Fournil romand.

«La différence en termes d’effectifs s’explique par l’externalis­ation, en mars dernier, de nos services logistique­s de livraison dans les boulangeri­es, soit environ 150 postes de travail», précise Christophe de Rolland. Le solde correspond à la fermeture d’une douzaine de points de vente ces dernières années, dont certaines étaient «structurel­lement déficitair­es».

En 2011, suite à la disparitio­n prématurée de son fondateur, Pouly a entamé un important reposition­nement, multiplian­t les décisions stratégiqu­es. L’empire boulanger romand, dont le chiffre d’affaires annuel est estimé à 90 millions de francs, s’est restructur­é en profondeur. Ses légataires ont par exemple ouvert, en 2016, leur capital à ACE, un fonds d’investisse­ment genevois créé par Adam Said – fils d’une famille fortunée d’origine égyptienne établie à Genève – également propriétai­re d’environ 30% des pizzerias Luigia. Ce virage fondamenta­l s’est soldé par la vente de 45% des parts détenues par Catherine Pouly, partenaire d’affaires et épouse d’Aimé Pouly.

Le groupe d’origine genevoise poursuit sa mue. «Nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Celle du rajeunisse­ment et de la féminisati­on de notre clientèle, grâce notamment au renouvelle­ment complet de notre offre», relève Christophe de Rolland. Le groupe vend à présent des jus frais, propose davantage de restaurati­on que de viennoiser­ies et s’est lancé dans les produits santé, sans huile de palme, à consommer sur place ou à l’emporter. «Aujourd’hui, nous sommes plus qu’une boulangeri­e», estime celui qui vise dorénavant l’ouverture de trois nouvelles enseignes revisitées par an.

Le pain Paillasse est disponible dans 800 points de vente en Suisse. Contre 2000 en Allemagne. PRÉSIDENTE DE POULY «En moins de cinq ans, nous avons plus que doublé notre réseau, ainsi que notre nombre d’employés»

Une standardis­ation galopante

Pourtant, plus d’une boulangeri­e meurt chaque année en Suisse. Pour survivre, certains artisans – ils étaient 4600 dans les années 1980, contre aujourd’hui 1500 – ne pétrissent plus leur pâte euxmêmes, mais achètent des produits industriel­s, en créent des copies ou deviennent franchisés. Tant pis pour la diversité.

Le territoire helvétique recense aujourd’hui plus de 3000 points de vente d’artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs, pour environ 30000 emplois liés à ce secteur. Ce dernier a dégagé en 2016 quelque 2,2 milliards de francs de chiffre d’affaires, d’après l’Associatio­n suisse des patrons de la branche.

 ?? (YVES ROTH/OPENROOM.CH) ??
(YVES ROTH/OPENROOM.CH)
 ??  ?? SINDY POULY
SINDY POULY

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland